La Danse traditionnelle québécoise, et sa musique d’accompagnement (suite)

Le livre comporte deux parties : la première s’intitule "Héritage et influence" et la seconde "Présence et survivance". En partie I on traite des origines de la danse en général, depuis le Moyen-Âge jusqu’au 20ème siècle, en passant par la Nouvelle-France et le Régime Anglais. Présence et survivance expose les différents types de danses québécoises, avec les caractéristiques et les origines de chacune. Suivent un (trop) court chapitre sur L’interprétation musicale, et un autre sur Le temps et le lieu de la danse. Le sous-titre du livre (et sa musique d’accompagnement) n’est guère justifié par le contenu : on n’y traite pas des différents genres propres à notre musique de danse (galop, reel, marche, valse) et de leur relation avec les danses elle-mêmes. L’ensemble des textes relatifs à la danse au Québec est fort intéressant, bien appuyé par des citations pertinentes. En cela nous retrouvons la qualité du travail auquel Mme Voyer nous a habitués avec sa Danse traditionnelle dans l’Est du Canada : Quadrille et cotillon.(1)

Les informations relatives à la danse avant la Nouvelle-France (en France, en Angleterre, durant le Moyen-Age) sont malheureusement beaucoup moins précises et souvent erronées. Ainsi la carole, la ronde et le branle nous y sont présentés comme «danses originelles» (p.14), suggérant que ces trois danses sont contemporaines l’une de l’autre. D’une part, la «ronde» n’est pas une appellation connue au Moyen-Âge ; on parle de «carole» lorsque le cercle est fermé, et de «tresque» lorsqu’il est ouvert. Le fait que les auteurs parlent de «carole... en forme de tresque (chaîne linéaire ou serpentine) ou de ronde (ouverte ou fermée)», (p. 14), génère la confusion. Celle-ci s’amplifie lorsqu’on ajoute le branle à ces «danses originelles» : le branle n’est pas une danse médiévale comme la carole et la tresque (attestées au Moyen-Âge central et après), mais bien une danse de la Renaissance du 16ème siècle(2). Plus de trois siècles séparent donc le branle de la carole et de la tresque.

Lorsqu’on arrive en sol d’Amérique (Au temps de la Nouvelle-France p.27) tout devient beaucoup plus crédible et précis. Quantité de citations nous décrivent de manière convaincant la pratique et la transmission de la danse du 17ème au 20ème siècle. Celle de Chateaubriand parlant d’un maître à danser chez les Iroquois est tout à fait savoureuse (p.55)! La fin du premier chapitre portant sur les interdits du clergé catholique est aussi très bien documentée.

Le deuxième chapitre est beaucoup plus convaincant et étoffé. On y trouve un tableau très intéressant des Danses enseignées au Québec dans la première moitié du 19ème siècle, relevant les noms de ces journaux, les années de parution, et le détail des annonces (p.78).

La présentation de chaque type de danse traditionnelle souffre cependant des mêmes lacunes observées au premier chapitre : plus on recule dans le temps et plus l’information est douteuse. En écrivant : La contredanse anglaise, connue en Angleterre dès le XVIe siècle sous le nom de country dance, est une danse gaie et légère, dans laquelle les couples se placent en vis-à-vis pour former une colonne. (p.81), les auteurs assimilent erronément l’ensemble des Country Dance d’Angleterre aux Longways (danses en «colonne» ou sur 2 lignes se faisant face), qui n’en sont qu’une des multiples facettes (voir tableau ci-joint). Aucune des Country Dance observées par la reine Elizabeth à la fin 16ème siècle ne sont des Longways (3). Lorsque John Playford publie son English Dancing Master en 1651, le Longway «as many as will» (à nombre indéfini de couples)(4) n’est encore qu’un genre (presque mineur) parmi les divers types de danses décrites, tous sous l’appellation de Country Dance (5). Ce n’est qu’à la fin du 17ème siècle que le Longway éradiquera les autres genres pour demeurer le seul à s’exporter sur le Continent. Lorsque les Français importeront la Country Dance (fin 17ème s.) elle sera devenue, depuis peu, synonyme de Longway.

L’autre erreur consiste à confondre le Longway «as many as will» (ou contredanse anglaise) avec nos contredanses québécoises. Les contredanses anglaises (telles qu’adoptées en France) mettaient en action un nombre indéfini de couples qui progressaient qui vers le haut, qui vers le bas de la danse(6). Les contredanses québécoises, telles que décrites à la page 80, font généralement descendre le premier couple directement au bas de la danse, tandis que tous les autres remontent d’une place. De plus, elles ne comportent jamais un nombre indéfini de couples, mais s’exécutent généralement à 4 couples, parfois à 8. Elles représentent en fait une forme tardive (19ème siècle) de la contredanse britannique, qui nous serait venue d’Écosse et d’Irlande.(7) Quant à la «descendance» des contredanses anglaises du type «as many as will», c’est dans les fameuses Contradance de la Nouvelle-Angleterre (Etats-Unis) qu’on la rencontre.

Telle que présentée dans cet ouvrage, l’histoire de la naissance du cotillon laisse aussi perplexe : En 1705, Louis Pécour, danseur et compositeur des ballets de l’Opéra, en collaboration avec Feuillet, publient des chorégraphies de nouvelles danses cotillons ou danses à quatre (p.85-86). D’une part le Cotillon n’est nullement une création de Pécour. Il s’agit en fait d’une danse déjà à la mode que Feuillet se sent tenu de publier pour les raisons suivantes : Le Cotillon, quoique danse ancienne, est aujourd’hui si à la mode à la Cour, que j’ai cru ne pouvoir me dispenser de la joindre à ce petit Recueil, c’est une manière de branle à quatre que toute sorte de personnes peuvent danser sans même avoir appris(8). En fait, la danse en question portait le titre de Cotillon (puisque dansée sur l’air de la chanson Ma commère quand je danse / mon cotillon va-t-il bien) et le sous-titre de Danse à quatre. Le Cotillon n’est donc pas encore un genre de danse, et Feuillet ne publie donc pas une «nouvelle danse cotillon»... Ce n’est que suite à son succès et à la publication du Cotillon Nouveau, du Cotillon de Suresne, puis du Cotillon des Fêtes de Thalie en 1714 (qui se dansent tous à huit) que le cotillon devient lentement un genre de danse typiquement français, qui prendra le nom de contredanse française pour la distinguer de la contredanse anglaise(9).

La section traitant des sets carrés est très instructive. C’est un vaste sujet sur lequel on n’a guère écrit. L’influence du cotillon est évidente, celle des «rounds» progressifs est probable (surtout lorsqu’on pense aux sets à 6, 8 ou 12 couples de la Gatineau). Les auteurs attribuent aux caleurs un rôle qui semble un peu excessif, en le décrivant comme ayant toute liberté dans l’agencement des figures (p.99). Un tel rôle n’est pas attesté dans le milieu traditionnel, où la communauté répète toujours la même danse de veillée en veillée, le câlleur devant s’en tenir à cette structure connue et acceptée de tous. Sur ce point on n’observe guère de différence dans le milieu «revivaliste», où sont généralement «câllées» des versions traditionnelles de danses collectées ici et là.

La section sur le reel survole de façon assez concise ce genre de danse. L’hypothèse avancée sur l’introduction du Brandy au Québec par l’entremise des maîtres à danser, entre autres par Antoine Rod, demanderait évidemment plus de développement, tant il semble au moins aussi probable qu’il provienne de la tradition populaire des immigrants des Îles britanniques.

Le passage sur la gigue est plutôt succinct. Il y est dit à deux reprises qu’elle peut s’exécuter sur des mesures en 6/8, 12/8 ou même 9/8 (forme inexistante au Québec), tandis que la mesure la plus populaire chez nous, le reel en 2/4, n’y est nulle part mentionnée. On fait remonter son origine au règne d’Élisabeth (par une citation p.105, dont la source est inconnue), confondant, comme il est fréquent, le terme jig avec notre mot «gigue». Plusieurs types de danses britanniques portèrent le nom de jig. Le théâtre Élisabéthain comportait souvent, à la fin ou au milieu de la pièce, un «entracte» dansé et chanté par un «fou». Ce qu’on appelle généralement les Elizabethan Jigs. L’acteur William Kempt (de la troupe de Shakespeare) en a immortalisé le genre par sa fameuse randonnée dansée (voir aussi Kemps Jeeg dans J.Playford 1651). Les 6 écrits et gravures de l’époque nous montre que ces danses se rapprochaient assez des morris dance que l’on connaît aujourd’hui. Chose certaine, il ne s’agit nullement de danse de pas percussive appelée «gigue» chez nous, stepdancing chez les irlandais et clogging chez les anglais et américains .

Quant au chapitre des danses de salon, on y reprend la thèse à présent réfutée de «la volte, ancêtre de la valse 19ème siècle». On fait même remonter la valse au 12ème siècle, en Provence ! Il est maintenant généralement admis qu’elle dérive probablement du Ländler allemand ou autrichien, et il est surtout accepté qu’elle n’est en aucun cas reliée à la volte.(10) Rappelons que celle-ci n’est qu’une variante de la gaillarde Renaissance, qu’elle n’a jamais été une danse de couple fermée, et que sa mesure et son pas s’étendent sur 6 temps (comme toutes les gaillardes) avec un soupir au cinquième temps, le tout dans un style très sauté et énergique. Rien de commun avec la valse...

Malgré toutes les réserves énoncées ci-dessus, ce bel ouvrage nous livre des informations essentielles à la compréhension de notre danse traditionnelle, de surcroît agrémentées de fort belles illustrations. Les parties traitant de la danse de chez nous sont généralement bien documentées et fort pertinentes. Cela peut donc constituer une introduction intéressante à notre danse populaire, à son évolution en terre d’Amérique, et au contexte social dans lequel elle évoluait. Il est cependant dommage que les auteurs aient voulu s’engager dans le sentier fort périlleux des origines lointaines de notre danse...

par Pierre Chartrand

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