La quena, aussi appelée kena, khena, flûte indienne ou flûte des Andes, est une sorte de flûte droite utilisée dans la Cordillère des Andes, traditionnellement en bois, en roseau, en os, et en terre cuite. Aujourd'hui, le bois et le plastique, plus robustes, sont parfois utilisés.
Le tuyau de la quena est percé de 6 trous au-dessus et d’un trou au-dessous, et muni d’une embouchure à encoche en forme de « U » ou de "V". D’une longueur de 37,5 cm, elle joue en général en sol majeur. Deux variantes sont la quenilla, plus petite, et le quenacho, plus grand.
La quena actuelle est apparue au XVIe siècle. Elle dérive à la fois de la quena préhispanique, qui avait 5 trous au maximum, et de la flûte à bec européenne.
'Le sixième trou du bas était à l'origine un trou d'accord, et n'était pas utilisé.
Précisons qu'à l'origine, la gamme de la kena était fondée sur une division de l'octave en 5 et dix tons égaux (5 trous) qui donnaient une échelle légèrement différente de notre division de l'octave en six et douze. A l'arrivée des Conquistadors,les instruments se sont un peu modifiés, afin de jouer à la fois les mélodies anciennes et les mélodies que l'on appellera de style "mestizo". C'est ce qui explique que les quenas anciennes, démarrant sur le la 370 du moyen-âge (plus proche d'un sol dièse actuel), comportaient deux notes "fausses", le do 1/4 et le fa dièse qui était un fa 3/4, à l'endroit où l'écart entre l'échelle à dix intervalles et l'échelle à 12 intevalles s'écartaient le plus l'une de l'autre. Finalement, aujourd'hui, on a renoncé à cette gamme pratique hybride qui permettait de jouer dans deux systèmes musicaux différents, celui des peuples précolombiens, d'origine asiatique, (la kena est parente du shakuhachi, comme les syrinx, des orgues à bouche) et celui venu d'Europe (majeur 2 tons 1/2 ton 3 tons 1/2 ton), qui l'a finalement emporté.
C'est pourquoi aujourd'hui les huaynos, les danzante équatoriens, et autres mélodies indiennnes sont à base de cinq notes, mais empruntées à la gamme dodécaphonique occidentale : ce qui introduit le jeu de la note sensible, et des tonalités, ainsi que l'harmonie occidentale. Les gammes des kenas en os retrouvées dans les tombes ne permettent pas naturellement le jeu de nos tonalités, puisque leurs gammes divisent l'octave en 5 ou 10 tons égaux comme celles des lithophones chinois préhistoriques.
Cela explique également le plaisir (atavique) qu'ont les musiciens sud-américains à noyer la tonalité dans des accords équivoques, ambigus, des successions de 7èmes ou de 9èmes à la Debussy, qui nous font passer d'un ton dans un autre sans qu'on sache très bien dans lequel on est. Ce plaisir vient des temps archaïques où les flûtes (syrinx p. ex.) jouaient en orchestre avec une gamme de dix intervalles égaux. On en trouve des traces dans les enregistrements de Louis Girault pour le Musée de la Parole (Danza des los Khunturis, p. ex.), et dans les enregistrements très anciens de musique des Aymaras de Bolivie.
D'une façon plus générale, les multiples espèces de flûtes andines, généralement en roseau de la lisière de l'Amazonie (et non en roseau du type "balsa" dans lesquels sont faites les embarcations du lac Titicaca, qui ne sont pas creux mais fibreux à l'intérieur), dérivent toutes de trois modèles : la flûte à encoche, encoche qui peut être médiane,inférieure ou supérieure, par rapport à l'épaisseur du tube, la flûte à bec (tarkas, pinquillos, etc...) et la syrinx, technologiquement sans doute la plus ancienne. Mais l'ingéniosité des habitants des Andes a fait varier ces modèles au point qu'on en recense (d'après le musicologue Alejandro Vivanco) près de 115 déclinaisons différentes. Les flûtes de type "traversière" ou "allemandes" ne semblent pas avoir eu d'autre origine que des copies d'instruments européens, alors que le système dit "à bec", lui, avait déjà été courant à l'époque des Chimus, ce dont témoignent abondamment les fameux "vases siffleurs" précolombiens.
Notons que les flûtes étaient à l'origine fortement liées à des rituels "agricoles", aux cérémonies de fécondation de la terre, et que c'est la raison pour laquelle, jusqu'à une période récente, kenas et syrinx étaient réservées à l'usage musical des hommes, leur utilisation par les femmes étant réputée porter malheur.
Il est intéressant également de remarquer la proximité (technique) de facture des kénas et des flûtes de pan, avec les instruments d'Europe de l'Est, et du Moyen-Orient. Ainsi, les trous d'accord des grandes flûtes étaient, des deux côtés de l'Atlantique, pratiqués selon des normes quasi similaires, alors que la physique des aérophones ne l'impose pas et que, si les possibilités ne sont pas illimitées, elles restent nombreuses. Certains musicologues supposent que le foyer préhistorique de ce type d'instruments, probablement importés d'Afrique, mais considérablement développés ensuite, se serait tenu dans la région de l'Afghanistan, à proximité de la civilisation de Mohenjo-Daro. De là, les flûtes sans encoche et les syrinx se seraient diffusées d'un côté vers l'Europe Centrale, et de l'autre vers l'Inde et la Chine, puis au-delà vers l'Amérique Centrale et surtout l'Amérique du Sud. En ce qui concerne l'Amérique du Nord, où ces flûtes sont rares, l'énigme demeure, ainsi que le fait que l'usage modal des cinq notes servant de colonne vertébrale aus mélodies andines est radicalement opposé à son équivalent chez les Indiens nord-américains : comme si les uns et les autres s'étaient privés volontairement de certains modes qui étaient laissés aux autres. Un point qui reste à confirmer et à éclaircir.
Pour conclure, du fait de son absence de bec, la kéna est la plus souple des flûtes, et permet, pour les meileurs instruments modernes, près de trois octaves, ce qui en fait, dans le rapport simplicité de facture/rentabilité sonore, l'un des instruments les plus efficaces et proportionnellement comparable au violon. On attend le jour où des facteurs aussi ingénieux que Boehm fabriqueront, sur le modèle de la traversière d'orchestre, des modèles de kénas à clefs qui étendront son registre à quatre octaves ou plus, avec une sonorité, plus colorée, plus chrgée en harmoniques audibles,très différente de celles des flûtes traversières.