Cependant, c’est surtout pour les danses et dans les cérémonies juives traditionnelles que les "klezmorim" pouvaient laisser leur talent s’épanouir : Chaque circonstance avait ses thèmes: Pour les repas, les concerts, les processions ("Gassn Nign"), le recueillement (nombreux nigunim) et surtout les mariages: "Tsu der khupe", "Fun der khupe" et "Kale badekn" pour la mariée, "Mazltov" pour les félicitations, "Firn di mekhutonim aheym" ou "Dobranoc" pour le départ des beaux-parents et des invités, etc.
Un mariage juif en Galicie
La qualité des musiciens - et donc leur cachet! - se mesurait à leur virtuosité, à l'étendue de leur répertoire, à leur capacité d’arranger les thèmes, d’improviser dessus ou de les adapter au public.
De nos jours, le répertoire klezmer au sens large inclut de nombreuses chansons yiddish, traditionnelles ou récentes. Ceci n'est pas surprenant si l'on sait, d'une part, que les mariages traditionnels étaient, dès le 13ème siècle, animés par un "badkhn" ou un "leyts", un maître de cérémonie tenant aussi les rôles d'improvisateur, de parodiste, de prédicateur, voire de chanteur.
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Rebbe Elimelekh par Anatoly Kaplan |
Purimshpiler
Amsterdam 1723 | |
D'autre part, la fête de "pourim", (commémorant la libération des juifs de Perse par la reine Esther) donnait, dès le 18ème siècle, lieu à des représentations théâtrales ("purimshpil") où figuraient musiciens, acteurs et chanteurs. |
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Une grande partie des juifs qui, ayant quitté l'Europe centrale à la fin du dix-neuvième siècle pour chercher la prospérité et de ceux qui, plus tard, ont fui les persécutions nazies et staliniennes, se sont établis aux
Etats-Unis où la musique klezmer a survécu et même prospéré comme musique de danse et de festivités grâce aux immigrés comme Harry Kandel (1885-1943), Abe Schwartz (1881-1963), Dave Tarras (1897-1989), Naftule Brandwein (1884-1963) ou Shloimke Beckerman (1883-1974) (pour ne citer que quelques célébrités) et à leurs descendants (tels Max Epstein (1912-), Pete Sokolow, Michael Alpert, etc.). Ces migrations massives ont profondément modifié le caractère de la musique klezmer, de sorte que nous avons désormais une idée biaisée du son des anciens orchestres est-européens (Mark Slobin).
Brandwein
 
Tarras
Les premiers enregistrements klezmer, effectués en Europe -et à plus forte raison aux
Etats-Unis- (Belf's Romanian Orchestra, H.Steiner, Max Yenkowits, etc.) ne datent que du début du 20ème siècle et ne sont pas représentatifs de ce qu'était le klezmer auparavant! Ils étaient truffés de défauts techniques mais aussi de bavures musicales qui leur donnaient leur charme. Actuellement, il est possible de corriger en studio chaque imperfection, si ténue soit-elle, de sorte que la musique enregistrée a pris un caractère "clean" voire stérile que le public exige aussi en concert, bien qu’il relègue l’émotion à l’arrière-plan. Oy! Moderne tsaytn!
Après la deuxième guerre mondiale et la Shoah, la tendance à l'assimilation culturelle et le Sionisme qui prévalaient chez les juifs d'
Amérique ont relégué la musique juive aux oubliettes. Mais depuis les années 70, on assiste à une véritable renaissance de cette musique connue actuellement sous le nom de "klezmer" de la même façon que la musique irlandaise fut nommée "celtique".
Cette renaissance ("revival") est due à des musiciens venus d’horizons variés (classique, jazz, folk, pop, etc.) comme Giora Feidman, Zev Feldman & Andy Statman, Henry Sapoznik (du groupe "Kapelye") ou Lev Liberman ("The Klezmorim"). Des juifs, pour la plupart, sentant le besoin de retrouver leur appartenance, leur identité ou leurs racines culturelles, comme si "leur âme (en) avait été affamée" (Andy Statman) ou cherchant une alternative valable à l'orthodoxie religieuse et au sionisme... Mais aussi des "goyim" (non-juifs), interpellés par la profondeur, l’expressivité ou l’universalité de cette musique. Partie des
Etats-Unis, cette "nouvelle vague" klezmer n’a pas tardé à atteindre l’Europe. Elle est devenue "l'abstraction musicale de la langue yiddish" (David Krakauer) et "la bande sonore de choix pour une nouvelle culture de la jeunesse juive" (Alicia Svigals). Ce mode de pensée reflète bien l'intense revendication spirituelle de la musique klezmer à la fin des années 1990 (Barbara Kirshenblatt-Gimblett).
Traditionnellement, la musique klezmer était jouée pour faire danser le public lors de "simkhes" (fêtes) et le concept de concert avec un public assis tel que nous le connaissons de nos jours est un phénomène d'apparition récente depuis la "renaissance" (Ari Davidow).
Actuellement, on peut entrevoir trois tendances à la musique klezmer: Les musiciens du courant "mainstream (Epstein Brothers, Maxwell Street Klezmer Band...) la pratiquent surtout dans des circonstances para-religieuses comme l'animation de mariages et d'autres fêtes juives. D'autres musiciens "traditionalistes" (comme Joël Rubin, Andy Statman ou les groupes "Di Naye Kapelye" et "Budowitz") cherchent à reproduire, en concert ou sur CD, le son et les arrangements du passé... Mais pour la majorité des klezmorim actuels, la scène klezmer est un lieu d'expression et d'échange artistique libre où chacun peut (et doit!) apporter ses compositions et ses interprétations personnelles, et accepter de subir toutes les influences musicales actuelles comme le jazz (Brave Old World, The Klezmorim, The Flying Bulgar Klezmer Band, David Krakauer, Kol Simcha, Klezmokum...), le free-jazz (John Zorn, Eliott Sharp, The New Klezmer Trio, Anthony Coleman...), la pop music (Mickey Katz...), le rock (The Klezmatics, Avi & Yossi Piamenta) et les musiques "ethniques": indienne (Pharaoh's Daughter), arabe (Bustan Abraham), celtique, etc. Comme au siècle passé, certains groupes klezmer (Brave Old World, The Klezmatics, The Klezmer Conservatory Band, Kapelye...) utilisent leurs compositions (en yiddish!) pour exprimer leurs préoccupations et leurs revendications sociales, politiques, voire sexuelles.
LA MUSIQUE KLEZMER
 
GENERALITES