Comment célébrait-on Noël en Roumanie dans les temps d’antan? La Roumanie est un pays riche en traditions… Les fêtes de Noël donnaient donc lieu à des rites et des traditions très différentes d’une région à l’autre, que l’on soit orthodoxe ou catholique… Regards sur les visages du Noël roumain…
«Ecoutez-moi ça : le commencement n’est jamais comme la fin ; le commencement change tout ce qui a été et crée d’autres modes» – constatait froidement un paysan, à la fin du 19e siècle, devant un Monsieur descendu de la ville pour enregistrer sa voix sur un phonographe à cylindre.
L’homme expliquait au Monsieur avec la machine pourquoi le calendrier officiel avait jadis mis la confusion dans son village, après avoir séparé Noël du Petit Noël, c’est-à-dire du Nouvel An. Il y a quelques centaines d’années, dans les anciens calendriers, même chrétiens, les deux ne faisaient qu’une seule et unique fête, noyau d’une vaste période de passage d’un an à l’autre. Durant plus d’un mois, Noël s’éparpillait alors dans des traditions, dont l’existence et le sens échappent complètement au Roumain contemporain. Voilà pourquoi cette semaine, nous vous proposons de partir à la recherche de certaines de ces coutumes, jetées aux oubliettes par la modernité. Tout comme les cylindres du phonographe. «Visages de Noël» c’est maintenant sur RRI. L’image d’un village qui apparaît au loin, sous la neige épaisse, les cheminées fumantes, a de quoi toucher au moins le sens esthétique de l’homme contemporain. Les idées sur la redécouverte de la nature à une époque hyper technologique s’enchaînent dans l’esprit d’autant plus librement que le bruit des pas dans la neige gelée retentit dans le silence environnant. Mais justement, pourquoi ce silence ? La neige était belle aussi pour les paysans roumains du 19e siècle, par exemple. Toutefois, elle leur apparaissait également dangereuse, car couvrant la terre et dissimulant donc des menaces concrètes ou imaginaires : animaux prédateurs, personnes malveillantes, revenants ou démons. La tombée de la neige précipitait les villageois dans une période où on ne pouvait plus se fier à l’apparence des choses. A commencer par la terre, dont les irrégularités disparaissaient sous la couche blanche et moelleuse et se transformaient en autant de pièges. Durant ce passage d’une année à l’autre qui s’étalait sur plus d’un mois, l’impossible était tout à fait relatif, précise l’ethnologue Serban Angelescu : «On dit que la nuit de la Saint André, le 30 novembre, quand on commence les préparatifs pour Noël, le loup peut tourner sa tête et voir sa queue. Le loup est supposé être un animal au cou rigide, qui manque de flexibilité. Pour une seule nuit donc, le loup acquiert une mobilité qui lui est d’ordinaire défendue. Eh bien, à Noël, cela est valable aussi pour le temps et l’espace.» Le froid, la quasi-absence des travaux agricoles mais aussi une longue liste de croyances et de superstitions faisaient que les gens réfléchissaient deux fois avant de s’aventurer en dehors de leurs habitations. La maison, la cour et les annexes n’étaient pas exemptes de mauvaises surprises, mais beaucoup plus maîtrisables qu’à l’extérieur. Toutefois, la situation n’avait pas seulement des inconvénients. Le soir, auprès du feu, les gens se livraient non sans enthousiasme à des activités généralement défendues, telle le présage. Sauf que là, on n’allait pas consulter une diseuse de bonne aventure – chacun pouvait explorer son avenir sans bouger de chez soi, affirme l’ethnologue Serban Angelescu : «Le temps est généralement opaque ; il est en tout cas difficile pour les humains de le scruter. Néanmoins, le temps devient maintenant transparent, laissant entrevoir ce qui pourrait arriver dans le futur. De plus, les gens peuvent intervenir dans son déroulement, le modeler à leur gré pour empêcher la fatalité de se produire. L’espace est dans la même situation : la communication entre les mondes souterrain, supra terrain et l’au-delà atteint son apogée. Les cieux s’ouvrent, les animaux parlent d’une voix humaine. Les astucieux peuvent même découvrir les trésors enfouis sous la terre. Cette période est donc extrêmement propice pour se renseigner sur toutes les questions importantes qui intéressent la communauté paysanne, dont notamment le sort de la prochaine récolte et de la situation maritale, surtout pour les jeunes filles.» La plupart des végétales n’étaient pas vraiment des légumes. Pour les paysans d’antan, les plantes n’étaient pas inertes, recelant parfois le secret de l’avenir de leur espèce et même celui des êtres humains. Avec un peu de ruse, les gens pouvaient les faire parler à leur manière, c’est-à-dire interpréter les signes qu’ils voyaient, par exemple, dans la forme des pétales, des feuilles et des racines ou bien dans le contact de certaines plantes avec des objets ou des substances, selon Serban Angelescu. «La nuit du Nouvel An, les gens inventaient toute sorte de calendriers. Vous avez, par exemple, celui réalisé avec des couches d’oignon. On en prenait 12, correspondant aux mois de l’année suivante, et on y mettait un peu de sel. Pendant la nuit, sous l’action du sel, des gouttes d’eau apparaissaient dans les petits creux. C’est à la quantité d’eau que l’on jugeait que tel mois serait pluvieux ou sec.» Les objets utilisés n’étaient pas choisis au hasard. On les préférait pour leurs qualités concrètes, mais aussi pour leur efficacité magique, attribuée par les différentes croyances. Par exemple, une bonne récolte dépend aussi du choix des plantes et de la rotation des cultures. Les villageois appréciaient donc toutes les informations sur les chances de survie de leurs plantes durant l’année suivante. En ce sens, ils estimaient que le calendrier de pain était assez précis. On enduisait de jus d’oignon le tranchant d’un grand couteau que l’on enfonçait, par la suite, dans un pain. Au bout de trois ou quatre heures, on le sortait et on l’examinait minutieusement. Si le tranchant était rougeâtre, les granges seraient remplies de blé l’été prochain. Un tranchant noirâtre voulait dire que les animaux ne manqueront pas de foin, alors qu’une couleur noirâtre ou jaunâtre représentait l’abondance du maïs. Coiffer Sainte Catherine n’était pas regardé d’un œil indulgent dans le village de jadis, où la règle était exprimée par le mot «rost». Faire son «rost», c’était emménager dans la maison de son époux, posséder de la terre et des animaux, mener une vie conforme aux normes généralement admises. Mais pour commencer, il fallait fonder une famille, précise l’ethnologue Serban Angelescu : «Pour les jeunes filles – et pas nécessairement pour les jeunes hommes – il était essentiel de trouver la personne qui leur était prédestinée à prendre comme époux : le promis, « ursitul » en roumain. Dans cette période, elles s’adonnaient à toute sorte de pratiques divinatoires pour avoir la certitude d’un mariage très proche et savoir même à quoi ressemblerait leur futur époux.» Pour cela, le soir du Nouvel An, la jeune fille faisaient fondre, par exemple, un peu de plomb et verser les gouttes de métal dans de l’eau. Elle prenait l’objet résulté à forme apparemment bizarre et l’interposait entre le mur et une bougie. On croyait que ce genre d’ombres chinoises aidait à apercevoir le profil du futur bien aimé ou époux. Les jeunes gens plus courageux se livraient à un jeu plus compliqué et avec des résultats ne laissant pas trop de place aux interprétations. Rassemblés chez l’un d’entre eux, la nuit de la Saint Basile, équivalent roumain de la Saint Sylvestre, les jeunes dissimulaient plusieurs objets sous des récipients en tout genre, qu’ils tiraient ensuite aux sorts. La bonne humeur était de mise, mais plus d’un et d’une faisaient semblant. L’argent ou le pain signifiaient, par exemple, un mariage avec quelqu’un de riche. Un miroir c’était la beauté, le collier – un époux ivrogne, la bague – une femme infidèle. Celle mais surtout celui qui découvrait un morceau d’intestin gonflé et lié avec une touffe de poils de porc était la risée de tous. Selon les régions, il représentait une vie sexuelle trop désordonnée ou complètement absente pour soi-même ou le futur conjoint. Le fait qu’un jeune homme participe à ce genre de rituels ou qu’il veuille entrevoir son destin était considéré avec indulgence et un brin d’ironie. Dans les villages roumains patriarcaux, l’homme était crédité d’emblée avec de la chance et de la prospérité. En effet, on faisait en sorte qu’un homme entre le premier dans une maison le jour du Nouvel An. Par contre, la vie de la femme était réglementée de manière très stricte. Celle-ci devait absolument veiller à ce que son destin ne sorte même d’un iota du chemin voulu par la communauté. Les pratiques divinatoires lui servaient pour prévenir les éventuelles catastrophes, explique l’ethnologue Serban Angelescu. «Le statut d’une femme célibataire est désastreux au sein d’une communauté rurale. L’homme devait lui aussi se marier, mais l’on croyait que pour lui c’était beaucoup plus simple : il était perçu comme un être actif, toujours à la recherche de quelque chose. La femme se contentait d’attendre : elle est donnée pour épouse par sa famille, par des entremetteurs. On la croyait très fragile et perpétuellement guettée par un danger potentiel.» Andrei Popov Source : Voyages Ideoz |