La réputation des Poitevins comme danseurs est sans doute antérieure au XIIIe siècle, et quatre siècles plus tard, ils n’avaient pas dérogé, représentant la France dans le ballet des nations, divertissement donné à la suite du Bourgeois gentilhomme de Molière. Quant aux danses du Marais, leur cachet d’originalité piquante frappe tous les voyageurs.
Au XIIIe siècle, le recueil de proverbes appelé le Dit de l’apostoile mentionne : Li meillor sailléor en Poictou. Au XVe siècle, des villageois amenés dans la province font diversion par leurs joyeuses gambades à la sombre mélancolie du prisonnier volontaire de Plessis-lès-Tours, le roi Louis XI.
Ces bergers et ces bergers dansaient au son de leurs hautbois, cornemuses et musettes. Tous ces instruments se fabriquaient au bourg de Croutelle, déjà renommé par les travaux délicats - les finesses - de ses habiles tourneurs, et là peut-être, avait été inventé le coutre aux deux tuyaux chambrés dans une unique tige de buis, qui remplaça l’antique flûte double à branches isolées, venue des Romains. C’est de Croutelle que les étudiants de Poitiers tiraient au XVIe siècle leurs flûtes et leurs sifflets.
Paul Contaut, qui écrit au XVIIe siècle, nous apprend qu’on y faisait encore en 1628 des cornets à bouquin, hautsbois, cornemuses, chèvres-sourdes, flageols, piffres et flustes. Depuis longtemps les hautbois entraient pour la majeure part dans les orchestres quand ils ne les composaient pas uniquement. On les voit figurer au sacre de Louis XIV en juin 1664, dans les fêtes municipales de Toulouse comme dans la solennité des mairies à Poitiers et à Niort.
Le hautbois du Poitou, dont il est parlé maintes fois dans les anciens auteurs, était le plus souvent employé avec les cornemuses. On désignait sous ce nom de hautbois toute une série d’instruments ; cette famille, puisque telle est l’expression consacrée, a été figurée par le Père Mersenne dans son Harmonie universelle (1636). Le dessus chantait avec les cornemuses, et souvent le chalumeau de ces derniers instruments était fait avec un soprano et un ténor de hautbois du Poitou (Henri Lavoix).
Mais nous n’en avons pas fini avec la danse. En 1565, Claude Gouffier. seigneur d’Oiron, donne à la cour, pendant le voyage de Charles IX à travers la France, le spectacle de nos divertissements agrestes, et le roi prend un tel plaisir aux branles du Poitou qu’il demeure trois jours au château de son grand écuyer. Ce branle du Poitou jouissait dune telle vogue qu’on le voit noté quelques années plus tard dans l’Orchésographie du Langrois Thoinot Arbeau (anagramme de Jean Tabourot), imprimée en 1588.
Cette passion des Poitevins pour la danse éveilla sans doute chez eux le sentiment musical. Un recueil rarissime intitulé : Airs de cour comprenans le trésor des trésors, la fleur des fleurs et eslite des chansons amoureuses extraictes des oeuvres non encore cy-devant mises en lumière des plus fameux et renommez poètes de ce siècle, a été imprimé à Poitiers, par Pierre Brossardeu, 1607. Ces recueils voyaient ordinairement le jour à Paris ; la publication faite à Poitiers est l’indice certain d’un mouvement artistique dont la province offre alors peu d’exemples.
Et Lambert, « qui plus est », naissait à Vivonne en 1610. Celui qui devait être dans la suite le beau-père du grand Lulli, n’était encore que simple enfant de chœur à la Sainte-Chapelle de Champigny-sur-Veude, lorsque Moulinié, maître de musique de Monsieur, l’entendit pour la première fois. Sa voix était si belle qu’il voulut l’emmener à Paris, où il confia au chanteur de Niert le futur maître de chapelle du grand roi, nous apprend Tallemant des Réaux. Une petite part de son éducation musicale ne reviendrait-elle pas à nos humbles joueurs de musette du Poitou ?
Un grave magistrat, Pierre Rohert du Dorat, lieutenant général de la Basse-Marche, a laissé un gracieux tableau des divertissements champêtres en Poitou au commencement du XVIIe siècle. On nous permettra de n’en rien omettre :
« De grande ancienneté, on faisait état en France des hautbois du Poitou. On lit dans Philippe de Commines, dans Bouchet et dans Pierre Mathieu que l’on fit venir de Poitou des bergers qui savaient jouer des hautbois, cornemuses et musettes et chanter pour réjouir le roi pendant sa grande maladie mélancolique, desquels hautbois tout le Limousin et la Basse-Marche ne manquent pas, car il n’y a point guère de paroisses qu il n’y ait nombre de telles gens qui en savent très bien sonner, même les gavottes et branles du Poitou tant simples que doubles.
« C’est une chose admirable de voir de pauvres rustiques, qui ne savent point de musique, jouer néanmoins toutes sortes de branles à quatre parties, soit supérieur, la taille, haute contre et basse contre sur leurs cornemuses, musettes et hautbois, à la Ionique, car tous les branles que l’on appelle du Poitou, non ceux de France, sont loniques ou Lidiens. C’est-à-dire du cinquième au septième ton que Platon au livre de ses Lois et Aristote en sa République, défend à la jeunesse parce qu’ils ont grande force d’amollir les cœurs, de laquelle danse lonique parle fort Lucian dans son traité de la danse, et Horace dit que les vierges romaines apprenaient de son temps les mouvements loniques.
« Ces musiciens font entre eux les quatre parties et sont si bien accordants avec leurs dits instruments que c’est chose fort belle et fort douce de les entendre et n’y rapportent d’autre artifice que la seule nature qui le leur enseigne, qui est une chose du tout admirable de voir tous ces pauvres villageois jouer ainsi toutes les sortes de pièces qu’on leur peut dire et les mettre sur les quatre parties fort bien et avec belle méthode et c’est que les plus versés en la musique ne sauraient guère mieux faire.
« D’autres jouent fort bien de la flûte allemande [ou flûte traversière], du fifre, du flageolet, sifflet, chalumeau et telles autres gentillesses que les poètes grecs et latins ont décrites dans leurs bucoliques et pastorales, de sorte que paravant toutes ces guerres, tributs, subsides et grandes tailles, des passages journaliers des gendarmes qui sont venus depuis l’an 1630 en çà [c’est-à-dire vers 1630. Les mouvements de troupes n’ont dû finir qu’après la fin de la Fronde, en 1653]. L’on ne voyait par les villes, bourgs et villages et sous les ormeaux, châtaigniers et cerisiers de la campagne que danses au son des cornemuses et hautbois ou bien des chansons entre jeunes hommes et jeunes filles, les jours des dimanches et de fêtes.
« Le peuple desdits pays observe entre autres choses de danser au son des hautbois et des cornemuses aux fêtes des saints de la paroisse, à savoir : la vigile de la saint Jean-Baptiste et la vigile de Noël que l’on fait aux églises champêtres et pendant l’offerte, le curé de la dite paroisse ou son vicaire, commence le premier à chanter le Noël qui dit :
Laissez paître vos bestes, pastoureaux,
Et par monts et par vaux,
puis tous les paroissiens chantent avec lui le reste du Noël. A la sortie de la messe de minuit tous les jeunes laboureurs, bergers, jeunes femmes et bergères, se mettent tous à danser le reste de la nuit au son des cornemuses et hautbois jusqu’à la messe du point du jour, que s’il fait beau la dite nuit, que le temps soit serein et qu’il fasse lune, ils dansent devant l’église ou au cimetière selon que la commodité de la place est propre, que s’il fait mauvais temps et pluie, ils se retirent dans quelque grange prochaine et illec le curé leur fait fournir de la chandelle ainsi que j’ai vu pratiquer en mes jeunes années en l’église paroissiale de Dinsac, que de Saint-Sornin de la Marche, et autres.
« Les mêmes danses se pratiquent aussi la vigile de saint Jean-Baptiste, au mois de juin, autour du feu de joie que chaque village faisait, que s’il n’y avait pas de cornemuses et d’hautbois, ils dansaient aux chansons dont les jeunes femmes et bergères sont fournies à foison.
« Comme au jour de la dédicace des églises paroissiales, les paysans tenaient leurs ballades avec grande joie faisant un roi, le festinant et dansant le reste du jour avec les femmes et filles du village. (...) Saint Augustin au sermon de la Tempérance et saint Cyprien (sermon 3), parle des banquets, ballets et des danses que faisaient les anciens chrétiens aux fêtes des saints devant les églises, si bien qu’il ne faut pas s’étonner si dans la Basse-Marche, dans le Limousin et dans le Poitou, de grande ancienneté l’on a la coutume de danser le jour des fêtes de la dédicace des églises au son des hautbois et des cornemuses...
« En la solennité de la mairie de Poitiers qui se fait le quatorzième jour de juillet, l’on y voit grande quantité d’hautbois de Poitou. Ces hautbois sont employés ordinairement aux ballades du Limousin, la Marche et Poitou, aux mariages, aux frairies et confréries et en toutes réjouissances publiques. »
Nous ne voudrions pas multiplier les citations et cependant comment ne pas mentionner encore la Feste de village, petit poème d’un autre robin, Julien Colardeau, procureur du roi à Fontenay, publie en 1637. II y a de tout à cette fête, jusqu’à des marionnettes, et les divertissements chorégraphiques n’y sont point oubliés :
Cet autre danse les sonnettes
Voltigeant comme un papillon.
Voy-je pas sous ce papillon
Un joueur de marionnettes... ?
Un aveugle au bout de la table
Leur joue sur son violon
La gavote ou le pantalon
Ou quelque chanson délectable.
Comme on le voit, il n’est pas question de la courante de village, que la Saintonge a pourtant conservée jusqu’à nos jours, ni même du vieux branle du Poitou. Nous ignorons ce qu’étaient les sonnettes et le pantalon. La gavote, encore dansée sous le gouvernement de Juillet, et le passe-pied, dont il va être bientôt parlé, n’étaient que des dérives du branle. On retrouve dans le passe-pied ces gracieux balancements du corps déjà indiqués dans le branle par l’Orchésographie de Toinot Arbeau en 1588.
A voir comme chacun se serre
Fixe en un point également,
Il semble que leur mouvement
Vient non pas d’eux mais de la terre.
Les demoiselles des bourgades
Viennent au son des chalumeaux
Et sous un palais de rameaux
Se plaisent à voir leurs gambades.
Cet attrait pour nos jolies danses n’a rien pour nous étonner. Le branle du Poitou avait été importé à la cour, il y fut sous Louis XIV le prototype du menuet, que l’on dansait encore au commencement du XIXe, désigné à I’origine sous le nom de menuet poitevin. A la fin du règne du grand roi, les Poitevins n’avaient point dérogé : ce sont eux qui représentent la France dans le ballet des nations, divertissement donné à la suite du Bourgeois gentilhomme de Molière, dont la première représentation eut lieu a Chambord devant Louis XIV, en 1670. Boulainvilliers, dans son Etat de la France, dédié au Dauphin père de Louis XV, mort en 1712, parle encore du grand talent des bergères du Poitou pour la danse et le chant. « On connaît, dit-il, leur réputation à cet égard. »
Il est un touchant souvenir à rappeler. Eléonore d’Olbreuse, cette Maintenon protestante du Poitou, avait, nous dit un de ses panégyristes, « une forte passion pour la danse et y réussissait admirablement bien, de sorte qu’aucune fille de qualité ne pouvait mieux danser qu’elle faisoit ; surtout elle divertissoit souvent la Princesse et la compagnie par ses danses poitevines et champêtres apprises dès sa tendre jeunesse. » On sait que la future duchesse de Brunswick-Zell, tout d’abord dame d’honneur de Marie de La Tour, avait été donnée par la duchesse de Thouars a Amelie de Hesse, princesse de Tarente, sa bru, épouse d’Henri de La Tremoille. C’est la princesse dont il est ici parlé.
Eléonore accompagnait alors sa nouvelle maîtresse en Hollande, elle y fut la plus brillante étoile des fêtes de Breda suivies par le galant duc Georges Guillaume. Le prince, épris cette fois d’une passion durable, n’hésita pas dans la suite à épouser solennellement la pauvre et sage suivante. Le portrait si heureusement retrouvé suffirait à excuser cette prétendue mésalliance. Mme d’Olbreuse cependant ne charmait pas moins par sa conversation vive et spirituelle que par sa beauté, et tout cela ne se rehaussait-il pas encore de la grâce avec laquelle elle dansait le menuet poitevin ?
Le Poitou est, pour les vieilles danses, une terre privilégiée. Une bonne partie des rondes qui, dans nos diverses provinces, divertissent la jeunesse, viennent de cette région. Les danses maraîchines surtout (Challans et les environs) ont un cachet d’originalité piquante qui frappe tons les voyageurs. Auteur, notamment, La chanson populaire en Vendée, Sylvain Trébucq témoigne :
« Dans les premiers jours de septembre 1896, un dimanche, je me trouvais à Saint-Jean-de-Monts, chez des amis. J’étais venu là pour contempler cette magnifique plage et pour noter de vieilles danses. Je trouvai toute la population en fête, chantant, dansant, se livrant à mille jeux organisés par des baigneurs, sur les bords de la mer. Un soleil radieux donnait à l’immense Océan des reflets métalliques. Sous leurs coiffes blanches, les Montoises éclataient en rires sonores. De tous côtés, des rondes s’étaient formées, vives, légères, bien rythmées, et, dominant le bruit et les chansons, l’excellente petite fanfare de la ville, dirigée par M. Thibaud, instituteur-adjoint, achevait de donner à la fête un aspect de franche et communicative gaieté.
« Le soir, au milieu des lanternes vénitiennes et de feux d’artifice, des groupes nombreux et exubérants se formèrent dans toutes les directions. Les voix robustes des hommes se mêlaient aux douces voix des femmes, et les refrains sonores, hé ! hé ! hé ! se détachaient dans l’ensemble, énergiquement soulignés par des mouvements continuels du corps. Voici, au reste, la description de ces rondes, telles que je les ai vu danser à Saint-Gilles et à Saint-Jean-de-Monts. »
Et Trébucq de décrire plusieurs rondes.
Maraîchine à deux (branle)
Le cavalier et sa cavalière, se tenant par la main, avancent de quatre pas en sautant, reculent d’autant de pas et répètent ces deux mouvements. Au quatrième pas de la deuxième reprise, la cavalière se place devant le cavalier, qui la fait sauter en la saisissant par la taille. Les deux danseurs se séparent, font quatre pas, ou plutôt quatre sauts, en tournant sur eux-mêmes ; au quatrième pas, le cavalier fait sauter la cavalière une deuxième fois. Puis les danseurs reprennent leurs places pour recommencer la même série d’évolutions. Durant toute la danse, les danseurs balancent les bras et impriment à tout le corps une gesticulation constante.
Maraîchine à trois (branle)
Les danseurs (un cavalier et deux cavalières, le cavalier au milieu - dans d’autres localités, c’est le contraire : deux cavaliers, une cavalière) avancent, puis reculent de quatre pas en sautant, puis recommencent. Au quatrième pas de cette reprise, le cavalier fait sauter la cavalière de droite, tourne sur lui-même en faisant quatre pas ainsi que les cavalières. Le cavalier fait ensuite sauter la cavalière de gauche, tourne sur lui-même quatre pas (ainsi que les cavalières), fait sauter une deuxième fois la cavalière de droite. La cavalière de gauche tourne sur elle-même. Les trois danseurs reculent de quatre pas pour reprendre leurs places.
La Barrienne (danse-ronde de la Barre de Monts)
Les danseurs font quatre pas en avant en avançant les mains vers le centre du cercle qui se rétrécit. Ils se séparent, deux par deux, font huit pas, chaque cavalier tenant sa cavalière par la main ; le cavalier fait sauter sa cavalière en la soulevant par la taille et en s’aidant du genou droit. Les danseurs font encore quatre pas en marchant en rond ; puis les cavaliers font sauter une deuxième fois les cavalières. Ils font encore quatre pas ; les cavalières sont enlevées une troisième fois, puis les danseurs reforment le rond en se prenant par la main.
Source :
La France Pittoresque
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