ABREGE D'HISTOIRE
DE LA MUSIQUE BRETONNE
CHAPITRE I
LES MEILLEURS RECUEILS 1. AVANT LE BARZAZ BREIZ
La musique bretonne est très ancienne, aussi ancienne que la langue bretonne
et que la culture celtique. La musique bretonne existe depuis qu'existe un
peuple breton. Et la même chose se produit avec tous les peuples, parce qu'il
n'existe aucun peuple sans une musique bien à lui.
Mais la musique bretonne est restée très longtemps uniquement orale, et nous
ne connaissons pas grand'chose au sujet de cette musique avant le XIXème siècle
et le Barzaz Breiz (1839).
Le premier livre breton qui contienne des chansons était le "Doctrinal ar
Christenien", publié à Morlaix en 1628. Ce livre est maintenant introuvable;
un exemplaire se trouve chez M. Ernault, professeur honoraire de l'Université de
Poitiers, directeur de la Grande Confrérie du Breton. C'est La
Villemarqué qui avait donné ce précieux livre à M. Ernault. L'impression des
airs est très mauvaise (en plain-chant) et difficile à
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lire. L'un de ces airs, "Kantik diwar-benn kavidigez delwenn an Itron
Santez Anna" (Cantique au sujet de la découverte de la statue de Sainte
Anne), retrouvée par Nikolazig, a été arrangée et publiée par le célèbre
compositeur Ladmirault. Les paroles ont été publiées et traduites par M.
Ernault, notre grand linguiste.
Ensuite, nous ne connaissons pas d'autre air breton jusqu'au XIXè siècle,
sauf un manuscrit conservé à la bibliothèque de Quimper, et qui a été écrit au
début du XVIIIè siècle. Il ne comporte que des cantiques.
Je ne sais pas s'il y avait des airs dans le recueil de cantiques publié en
1650 par le Père Marzin, disciple du Père Maunoir, et appelé "Hent ar
Baradoz" (Le Chemin du Paradis) ou "Ar Vuhez Kristen"(La vie
chrétienne) (Quimper-Corentin, 1650 et 1689). Ce livre est maintenant
introuvable, nous ne le connaissons que par la "Bibliographie Bretonne"
de Levot (1852-1857) ou par l'"Essai sur la Langue Bretonne" de La
Villemarqué (publié au début du Dictionnaire Français-Breton de Le
Gonidec).
En 1726, plusieurs cantiques furent publiés par Charles Le Briz (à Brest,
édition Malassis, réédité en 1784). Je ne crois pas qu'il y ait eu des airs dans
ce recueil, car il a été réédité encore au XIXè siècle et, dans l'exemplaire que
j'ai vu à la bibliothèque de Rennes, les airs ne figurent pas.
En 1800 fut publiée une grammaire bretonne par un prêtre expatrié, l'abbé
Dumoulin (1741-1811) : "Grammatica Celtica", Prague. A la fin du livre
figurent cinq chansons avec les airs : trois cantiques et deux chansons. Comme
on le voit, il n'y avait pour ainsi dire pas de musique bretonne écrite. Il a
fallu attendre le Barzaz Breiz.
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2- LE BARZAZ BREIZ
C'est en 1839 que fut publié ce chef-d'oeuvre. Théodore Hersart de la
Villemarqué (Kermarker) était né en 1815. Ses parent habitaient Quimperlé. Sa
mère, Marie-Ursule Feydeau de Vaugien (1776-1847), la Bonne Dame de Nizon,
parlait breton. Enfant, Kermarker vivait au milieu des enfants des fermiers de
ses parents, et il entendit leurs charmantes chansons. Plus tard il alla à
Paris, où il fut élève de l'Ecole des Chartes. Il vécut plusieurs années à Paris
; mais il revenait souvent chez lui, et il étudiait la langue et la littérature
bretonnes. La littérature écrite était très mince à cette époque. Mais le trésor
des chansons bretonnes était d'une grande richesse, transmis oralement de
génération en génération depuis les temps anciens jusqu'au début du XIXè siècle.
Les chansons laides, stupides ou obscènes de la Capitale n'avaient pas encore
pris leur place dans les campagnes. Il y avait une moisson abondante à récolter
avant qu'elle ne soit pourrie et dévastée par la pluie et le mauvais temps
venant de l'Est. Kermarker fut un moissonneur remarquable, et son chef-d'oeuvre,
le Barzaz Breiz (Chants populaires de la Bretagne), éleva la
langue bretonne au rang des langues littéraires. Il fut réédité en 1846 et 1867,
et enrichi de nouvelles chansons à chaque fois. Kermarker devint très célèbre,
et son livre fut traduit dans de nombreuses langues étrangères. L'écrivain
français George Sand dit qu'elle trouvait "Droukkinnig Neumenoiou" plus beau que l'Illiade. En
1858 Kermarker fut nommé à l'"Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres". Il a écrit en outre
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plusieurs oeuvres agréables à lire et d'une grande valeur pour l'histoire et
la langue de la Bretagne (1).
Mais, en 1867, il lui fut reproché que les chansons du Barzaz Breiz n'étaient
pas authentiques, et qu'il les avait composées lui-même. Son plus grand
adversaire fut Luzel, qui a publié d'autres recueils : "Gwerziou Breiz-Izel" et "Soniou Breiz-Izel". Kermarker fut meurtri de ces attaques, mais il ne répondit
rien. Il continua de travailler pour la littérature bretonne. Il mourut au
Manoir de Keransker, près de Quimperlé, en 1895.
Il est vraisemblable que les chansons du Barzaz Breiz étaient de vraies
chansons populaires, mais arrangées et embellies de plusieurs façons par le
savant auteur. Les airs, par contre, n'avaient pas été composés par Kermarker,
qui ne connaissait rien à la musique. Il avait entendu ces airs quand ils lui
avaient été chantés par des gens de la campagne ; il se souvenait des airs, et
il les avait chantés devant ses camarades, parmi lesquels se trouvaient
plusieurs musiciens. C'est eux qui écrivirent les airs qui furent imprimés à la
fin du Barzaz Breiz. Nous connaissons leurs noms. Pour la première édition,
c'est Jules Schaeffer qui les écrivit. Nous ne savons rien sur lui, sauf qu'il
était membre de l'Académie royale de Musique et membre de la Société des
Concerts du Conservatoire, Opéra. C'est Kermarker lui-même
(1) Autres oeuvres de Kermarker : "Contes populaires des A
nciens Bretons" (1842), "Poèmes des bardes bretons du
VIe siècle " (1850), "La Légende Celtique en Irlande, en Cambrie et en
Bretagne" (1859), "Myrddhin ou l'Enchanteur Merlin" (1861),
"Le Grand Mystère de Jésus" (1865), "Poèmes bretons du
Moyen-Age" (1879), "La Légende de St-Gurthiern" (1880).
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qui le dit dans la préface de son livre. En 1846, il fut aidé par Aodren de
Kerdrel. Aodren de Kerdrel (1815 - 1889), ancien élève de l'Ecole des Chartes en
même temps que Kermarker, était journaliste, écrivain et homme politique. Il fut
député à l'Assemblée Constituante (1848), à l'Assemblée Législative (1849), et
plus tard à l'Assemblée Nationale (1871) et au Sénat. Il fut aussi un des chefs
de la Droite. En 1867, Kermarker fut aidé, pour les airs, par Sigismond Ropartz,
le père de M. Guy Ropartz, le célèbre compositeur, et par Thielemans. C'est
Sigismond Ropartz qui écrivit « Istor Kêr Gwengamp » (Histoire de la
Ville de Guingamp) (1851), et les paroles du choeur « An Div Vreizh »
(Les deux Bretagnes), chanté pendant l'Assemblée Panceltique qui s'est tenue à
Saint-Brieuc en 1867. C'est Thielemans qui avait composé les airs de ce célèbre
choeur. Thielemans était l'organiste de l'église Notre-Dame de Vrai Secours de
Guingamp.
Dans la dernière édition du Barzaz Breiz (1867) se trouvent 73 airs.
Ainsi qu'il a été dit, Kermarker ne pouvait pas composer les airs, car il ne
connaissait pas la musique. Ce sont donc de vrais airs populaires, et de plus
ils montrent très bien l'esprit de la musique bretonne : ligne mélodique, modes,
rythme, etc.
3. LES CANTIQUES DE L'ABBE HENRY Trois ans après le Barzaz Breiz fut publié un recueil de cantiques,
"Kanaouennou santel dilennet ha reizet evit Escopti Kemper, gand an toniou
war
(2) Il a été réédité plusieurs fois ensuite, mais il n'y a pas de chanson ni
d'air nouveau dans ces éditions - 11 -
gan-plen mentet, Sant-Briek e ti L. Prud'homme, Mouler ha Leorier,
1842" (Chansons saintes choisies et corrigées pour l'évêché de Quimper, avec
les airs en plain-chant mesuré, Saint-Brieuc, chez L. Prud'homme, Imprimeur et
Libraire, 1842)
L'auteur était l'abbé Henry (1803 - 1880), prêtre de l'évêché de Quimper, qui
fut aumônier de l'hôpital de Quimperlé, pendant quarante-quatre ans. C'était un
ami de Kermarker, qui écrivit la préface des Chansons Saintes. L'abbé Henry
avait aussi collaboré avec Kermarker pour corriger la langue du Barzaz Breiz.
À la fin du livre se trouvent les airs, avec une étude en breton au sujet du
plain chant mesuré, qui était courant au XIXe siècle pour les chansons
religieuses. Cette étude est précieuse, parce que l'abbé Henry essaie de
traduire en breton les mots employés en musique (par exemple : bé-blôt
pour « bémol » ; bé-kornek pour « bécarre » ; greunen pour « note
», etc.).
Parmi ces airs on trouve parfois des airs bretons anciens (par exemple : «
Eled an eñv, deut d'an douar »), parfois des airs français (par exemple :
l'air de la romance « Combien j'ai douce souvenance » (4), parfois les
airs du cérémonial latin un peu modifiés («O filii», «Dies irae»,
etc).
On trouve plusieurs airs publiés dans le Barzaz Breiz en 1839 dans le livre
de l'abbé Henry, qui indique souvent d'où vient l'air. Cependant quelques airs
qui n'avaient pas été publiés par Kermarker avant l'année 1846, ou 1867, se
trouvent dans le livre de l'abbé Henry, publié en 1842. Souvent les airs sont un
peu différents entre le Barzaz Breiz et les Chansons Saintes, ce qui montre que
Kermarker n'a pas recopié les airs publiés par l'abbé (4) Les paroles de cette romance ont été écrites par
Chateaubriand. - 12 -
Henry. Il a chanté ces airs à ses amis, exactement comme il les avait
entendus. On sait qu'il y a plus d'une façon de chanter une chanson populaire.
Kermarker et l'abbé Henry avaient souvent entendu des versions différentes. Le
livre de l'abbé Henry est maintenant très rare (il a été réédité en 1865). Mais
la plupart des airs de l'abbé Henry se retrouvent dans des recueils de chansons
religieuses publiés plus tard dans les évêchés de Quimper, Saint-Brieuc et
Vannes. Dans les dernières éditions est employée la notation d'aujourd'hui.
On peut comparer sous plusieurs aspects les Chansons Saintes bretonnes avec
les airs utilisés autrefois pour chanter les fêtes des saints bretons dans les
évêchés de Bretagne (Saint Brieuc, Saint Guillaume, etc). On les chantait sur
des airs différents du chant grégorien. On les écrivait en plain-chant mesuré
(le chant grégorien n'est pas mesuré). On les trouvera dans les livres de messe
publié avant la refonte du plain-chant effectuée par le pape Pie X, au début du
XXè siècle. Ces airs sont très proches de ceux des chansons bretonnes publiées
dans « Doctrinal ar Christenien » en 1628
4- BOURGAULT-DUCOUDRAY ET QUELLIEN Kermarker et l'abbé Henry n'étaient pas des musiciens de métier. En revanche,
Bourgault-Ducoudray était un compositeur célèbre, né à Nantes en 1840,
professeur d'Histoire de la Musique au Conservatoire de 1878 à 1908, mort en
1910, qui écrivit
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de nombreux opéras et symphonies remarquables (symphonies : "Le Carnaval
d'Athènes", "Rhapsodie Cambodgienne", "Chant Laotien" ;
Choeurs : "La Conjuration des Fleurs", "Jean de Paris",
"Hymne à la Patrie", "Symphonie Religieuse" ; Opéras :
"Thamara", "Michel Columb", "Myrdhin", "Bretagne").
Mais il restera surtout connu à l'avenir pour avoir publié trois recueils
immortels : "Trente Mélodies populaires de Grèce et d'Orient"
(1876), "Trente Mélodies populaires de Basse-Bretagne" (1885),
"Quatorze Mélodies Celtiques" (1909).
Bourgault-Ducoudray avait été envoyé en Grèce et en Turquie par le
gouvernement français pour étudier la musique des pays d'Orient. Il recueillit
de nombreuses belles chansons, et il en publia trente, avec un très bel
accompagnement qu'il avait composé lui-même. En guise de préface il avait écrit
une étude très savante sur la musique de Grèce et surtout sur les modes de la
musique grecque ancienne, qui n'étaient connus à cette époque que de quelques
savants. Il donna également des conférences, à Paris, au sujet de la musique
grecque. Un jour que Charles Collin, célèbre organiste de la Cathédrale de
Saint-Brieuc, écoutait une conférence de Bourgault-Ducoudray, il lui dit qu'il
n'était pas nécessaire d'aller si loin pour entendre les modes de la musique
grecque, et qu'il suffisait de se rendre en Basse-Bretagne (5). (5) Cette anecdote m'a été contée par M. Julien Collin, le fils de Charles
Collin, membre de la plupart de nos associations bretonnes. - 14 -
Quoi qu'il en soit, Bourgault-Ducoudray vint en Bretagne en 1881. Il quitta
Paris en août, et il passa par Rennes, Lamballe, la Saudraie (en Penguilly),
Saint-Brieuc, Guingamp, Belle-Isle-en-Terre, Bégard, Pédernec, Quimper,
Châteauneuf-du-Faou, Carhaix, Le Huelgoat, Morlaix, Saint-Pol-de-Léon, Roscoff,
l'île de Batz, Trémel, Plestin, Pontivy, Guéméné, Le Faouet, Quimperlé et
Nantes. Pendant qu'il se trouvait à Quimperlé, il alla à Keransker, chez
Kermarker, qui chanta devant lui "Kantik ar Baradoz" (cette chanson, si belle, fut rééditée par Ducoudray, et
sous une forme plus juste). Le voyage de Bourgault-Ducoudray dura deux mois. Il
avait recueilli de nombreuses chansons et gwerzes, mais il ne publia que trente
chansons sous le titre "Trente Mélodies Populaires de Basse-Bretagne"
(1885). Pour chaque chanson figuraient les paroles, avec une traduction
française par François Coppée, et la mélodie avec un accompagnement composé par
Bourgault-Ducoudray. Le recueil de Ducoudray représente un choix de première
qualité. Les arrangements sont brillants ; les airs sont empreints de douceur et
de calme, particulièrement inspirés. Mais il faut avouer que les paroles
bretonnes sont souvent quelconques. Et en ce qui concerne la traduction
française, fort belle au demeurant, c'est la traduction de François Coppée, mais
trop souvent elle n'a rien à voir avec les paroles bretonnes. De la poésie
entièrement composée par le célèbre poète français, et rien de plus
Bourgault-Ducoudray publia aussi, un an avant sa mort, un choix de chansons
galloises, écossaises et irlandaises sous le titre "Quatorze Mélodies
Celtiques".
Quatre ans après les Trente mélodies bretonnes
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publiées par Ducoudray fut publié un autre recueil de musique bretonnes :
"Chansons et Danses des Bretons", par Narcisse Quellien
(1848-1902). Je parlerai dans un autre chapitre de la quatrième partie de son
livre, consacrée aux danses bretonnes. Dans la première se trouve une étude sur
les chansons bretonnes, étude importante, mais qu'on ne peut pas comparer à
celle de Ducoudray. La deuxième partie comprend les paroles des chansons
recueillies par Quellien (6). Dans la troisième partie on trouve les airs.
5. MM. DUHAMEL ET VALLEE A la fin du XIXè siècle, la musique bretonne était bien connue. Beaucoup de
chants avaient été publiés. Les modes grecs, employés dans les airs bretons,
avaient été étudiés par Ducoudray. Pourtant, il restait encore à faire.
D'abord, l'étude des modes fut complétée par M. Duhamel dans son précieux
livre, "Les 15 Modes de la Musique bretonne" (Ar 15 Doare-Skeul er
Sonerez breizek), Paris, Rouart et Lerolle, 1911. Ce livre est hélas épuisé, et
n'a pas été réédité. (6) Quellien est né en 1848 à la Roche-Derrien. Il mourut accidentellement à
Paris en 1902. Il a écrit plusieurs oeuvres plaisantes au sujet de notre nation
: "Un argot de Basse-Bretagne" (1885), "Loin de Bretagne" (1886),
"La Bretagne Armoricaine" (1890), "Bretons de Paris"
(1893), "Breiz" (1893), poèmes bretons, "Contes et Nouvelles du
Pays de Tréguier" (1898). N'oublions pas "Perrinaïc, une
compagne de Jeanne-d'Arc" (1891), une oeuvre "historique" qui
fait plus honneur à son imagination qu'à sa science. - 16 -
Ensuite, M. Duhamel a aussi travaillé pour retrouver les airs des chansons et
gwerziou recueillis par Luzel. Luzel, le célèbre écrivain breton (1821-1895),
avait écrit deux recueils de grande valeur de chansons populaires :
"Gwerziou Breiz-Izel" (1868-1874) et "Soniou Breiz-Izel" (1890).
Il avait collaboré avec Anatole Le Bras pour "Soniou Breiz-Izel". Mais
Luzel n'avait publié que les paroles, et les airs étaient perdus, à ce qu'on
croyait. Ils ont été retrouvés au début du XXè siècle par M. Duhamel et ses
collaborateurs. Certains recopièrent les airs qu'ils avaient entendus. D'autres,
comme MM. Vallée et Even, enregistrèrent les airs avec des phonographes. Les
appareils d'enregistrement, à cette époque, n'étaient pas aussi perfectionnés
qu'aujourd'hui. Ils n'étaient pas sur disques, mais sur rouleaux. M. Vallée a
raconté, dans le volume 16 des "Annales de Bretagne" (1900-1901), comment
il alla voir Marguerite Philippe (7), la chanteuse qui avait chanté devant Luzel
la plus grande partie des gwerzes et des chansons qu'il avait publiées.
Marguerite Philippe habitait Pluzunet. Elle avait atteint l'âge de soixante ans
; cependant, sa voix était resté assez puissante et juste. Elle chanta devant M.
Vallée presque toutes les gwerzes chantées autrefois devant Luzel, sauf deux ou
trois (parmi elles, "Ar Bugel Koar"). Les airs furent enregistrés sur
phonographe par M. Bourdon, professeur à l'Université de Rennes, qui avait fondé
un laboratoire de Psychologie expérimentale et de Phonétique expérimentale. M.
Duhamel recopia ces airs.
(7) 26 et 27 juillet 1900. - 17 -
Beaucoup de ces rouleaux se trouvent à l'Université de Rennes. Quelques-uns
se trouvent encore chez M. Vallée, notre grand linguiste. Il n'est pas sans
intérêt de dire que Marguerite Philippe faisait un métier qui n'était pas si
rare en Bretagne autrefois. Elle était pèlerine par procuration. Elle était
paralysée d'un bras, et ne pouvait pas travailler la terre. Elle se rendait aux
pardons de Bretagne, où des gens l'envoyaient faire un pèlerinage quand ils ne
pouvaient pas ou ne voulaient pas le faire eux-mêmes.
M. Duhamel a publié les airs des "Gwerziou ha Soniou Breiz-Izel" sous
le titre : "Musiques bretonnes, airs et variantes mélodiques des
Gwerziou Breiz-Izel et des Soniou Breiz-Izel". Il a aussi travaillé
avec M. Louis Herrieu, le célèbre écrivain vannetais, pour publier une centaine
de chansons du pays de Vannes sous le titre : "Guerzenneu ha Sonnenneu
Bro-Guéned". Il a aussi écrit des arrangements pour des airs gallois :
"Mélodies kymriques, Bretagne et Pays de Galles". Il a
étudié la musique des Iles Hébrides. En bref, c'est M. Duhamel qui, avec
Ducoudray et Ladmirault, a réalisé le travail le plus précieux pour la musique
bretonne.
Il n'est pas possible, dans une aussi courte étude, de mentionner tous les
musiciens et écrivains qui ont publié des airs populaires bretons au XXè siècle.
Beaucoup d'airs ont été publés sur feuilles volantes ou dans des revues (par
exemple "Kroaz ar Vretoned", jusqu'à la guerre 1914). Dans la revue
"Mélusine", publiée par Gaidoz, ont été publiées plusieurs chansons
recueillies par
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M. le Professeur Ernault, qui est maintenant le doyen de tous les écrivains
bretons, et qui poursuit toujours son travail scientifique pour notre langue et
notre nation. Chaque année, la Confrérie "Bleun-Brug" publie des airs bretons
avec des accompagnements. M. Paul Ladmirault, notre remarquable compositeur,
professeur à l'Université de Nantes, a publié des recueils de chansons
bretonnes, par exemple "Quelques vieux cantiques bretons, avec
adaptations, rythmes et harmonisations". Citons également "Kanaouennou
Breiz-Vihan", recueillies par MM. Gourvil et Laterre.
Les airs des belles poésies écrites par M. Jaffrennou-Taldir ne sont pas
toujours des airs inédits. Souvent, le poète met ses vers inspirés sur d'anciens
airs bretons, gallois, écossais ou irlandais. De même pour les Tregont Kanaouenn
vrezonek evit ar Skoliou (Trente chansons bretonnes pour les écoles) composées
par M. Kerlann, avec Barzaz de Potr Treoure (l'abbé de Concarneau). Taldir
indique la plupart du temps s'il s'agit d'un air ancien breton, gallois,
irlandais, etc. M. Kerlann n'en dit rien. C'est un tort, parce qu'on peut penser
qu'il s'agit d'un air tout neuf, alors qu'il a été publié en 1839 dans le Barzaz
Breiz. On peut aussi croire que tel ou tel air est un bel exemple de musique
bretonne, alors qu'il est irlandais ou gallois. Ce reproche ne n'empêche pas de
dire que le livre de M. Kerlann est très beau et d'un grand prix. Mais j'espère
que l'origine des airs sera mentionnée quand le livre sera réédité, comme je
l'espère.
CHAPITRE II
LA FORME DES CHANSONS 1. L'ORIGINE DES CHANSONS BRETONNES Il faut dire d'abord que nous ne savons pas grand'chose à ce
sujet. Elles ont été publiées pour la première fois en 1839, comme nous l'avons
vu. Quand ont-elles été composées ? Et par qui ? Nous n'en saurons jamais rien,
sauf pour quelques-unes d'entre elles. Cependant, ce serait une grande erreur
que de croire qu'elles ont été composées par plusieurs personnes ensemble, par
"le Peuple" d'une façon mystérieuse, comme par une sorte de génération
spontanée. Les chansons populaires ont toujours été composées par une personne
ou deux. Chaque chanson a un auteur, et cet auteur n'était pas toujours un homme
de la campagne, sans éducation. C'était souvent un homme instruit, mais son nom
a été perdu. Cependant, ce sont des chansons du peuple, parce qu'elles ont été
accueillies par le peuple, chantées et transmise de bouche à oreille par des
chanteurs populaires.
Parfois, les paroles et la musique ont été composées par la
même personne. Mais le plus souvent, les paroles ont été composées sur un air
plus ancien. Quant un chanteur voulait composer une gwerz au sujet d'un
événement quelconque, il le composait sur un air connu précédemment.
Plusieurs gwerzes et chansons ont été composées par des clercs.
C'était des jeunes gens de la campagne, envoyés chez le recteur pour apprendre
un peu de latin afin de pouvoir
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devenir prêtres. Plus tard ils furent accueillis dans les séminaires ; mais
tôt ou tard ils avaient senti qu'ils n'étaient pas vraiment appelés à servir
l'autel. Ils étaient revenus à leur village, et parfois ils composaient des
gwerzes ou des chansons. Il faut dire qu'on donnait le nom de clerc à tous les
gens un peu instruits en Bretagne autrefois. Les chansons ont été transmises de
bouche à oreille, dans les fêtes, les pardons, les mariages, et aussi pendant
les soirées d'hiver devant la cheminée, ou dans les prés en fleurs et les champs
dorés, quand le foin est coupé ou le blé moissonné. Les plus grands chanteurs
étaient les tailleurs qui travaillaient dans les maisons, et, assis à la table,
disaient des contes de toutes sortes, des commérages et chantaient des gwerzes
et des chansons. D'autres chanteurs étaient les pauvres, les vagabonds qui
allaient de porte en porte, en chantant des chansons et en vendant des feuilles
volantes, des gwerzes ou des chansons qu'ils avaient imprimées. Dès le XVIe
siècle on avait imprimé des chansons sur feuilles volantes. Mais les plus
anciennes sont maintenant perdues.
Je ne dirai rien des paroles des chansons. Je n'étudierai que
les airs. Nous avons vu que les paroles étaient souvent composées sur un air
connu. Plus les airs sont anciens, moins ils ont été changés à travers les
siècles. Et voici pourquoi : le plus souvent ces chansons avaient beaucoup de
strophes. Le chanteur doit avoir une très bonne mémoire pour apprendre toutes
les paroles. Et de plus, les paroles sont souvent changées, volontairement, par
le chanteur qui veut corriger la chanson. Souvent on met une chanson nouvelle à
la place d'une autre plus ancienne, et qui parle d'un événement qui n'attire
plus
- 21 - l'attention des gens. C'est pourquoi on emploie un même air
pour chanter plusieurs chansons très différentes (plus d'une chanson religieuse
est chantée sur l'air d'une gwerze ou d'une chanson). C'est pourquoi la même
chanson est chantée de plusieurs façons (elle a plusieurs versions). C'est
pourquoi les chansons les plus anciennes n'ont pas été composées avant le XVIe
siècle selon ce que disent les scientifiques.
Les airs, en revanche, s'apprennent plus facilement que les
paroles, parce que le même air sert pour toutes les strophes, et qu'il reste
plus aisément dans la mémoire des gens. Les chanteurs ne pensent pas non plus à
changer un air ancien comme ils changent des paroles anciennes. Je ne dis pas,
cependant, que les airs ne sont pas modifiés au cours des siècles. Souvent un
même air est chanté de deux ou trois façons. Mais, certainement, les airs sont
plus anciens que les paroles. Il est probable que certains sont aussi anciens
que la musique grecque, qui a les mêmes modes. Mais le premier recueil de
chansons bretonnes a été fait en 1839 par Kermarker. Ce sont des airs qu'il a
entendus, que sa mère a entendus à la fin du XVIIIe siècle. On peut donc dire
que nous ne connaissons les airs anciens bretons que dans la forme qu'ils
avaient à la fin du XVIIIe siècle.
La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle sont aussi
le plus bel âge pour les chansons bretonnes. Nombreux étaient alors les gens de
la campagne qui avaient un peu d'éducation, et qui connaissaient le breton et
pas le français. Beaucoup de chansons ont été composées à cette époque. Nos
campagnes sont maintenant entièrement francophones, grâce à l'école, aux
magazines, et à la caserne. Les belles mélodies sont remplacées
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par les chansons stupides de Montmartre, qui sont déversées par
la radio dans les villages les plus reculés. Et ce n'est plus par la bouche des
vieux chiffonniers que nous pouvons apprendre les chansons bretonnes, mais par
les livres.
2.
Il y a des chansons de plusieurs sortes en Bretagne. On les
classes habituellement en gwerzes et sônes. Les « gwerzes » sont composées sur
des événements historiques, des légendes, la vie des grands personnages, des
crimes effrayants, des morts affligeantes, des fantômes nocturnes, etc. Les «
sônes » sont des chansons d'amour, des chansons inspirées par la beauté de la
nature, des chansons moqueuses, etc. Kermarker ajoute une troisième catégorie :
des chansons religieuses. Briseux , dans la préface de "Telenn Arvor", fait la
différence entre les "soniou", chansons légères et gaies, et les "poèmes",
chants sur la nature, sur l'amour.
Quoi qu'il en soit, cette distinction n'est pas importante en
ce qui concerne les airs, car, comme je l'ai dit, on chante des paroles de
toutes sortes, très différentes, sur le même air. Les airs ont été classés par
Ducoudray de la façon suivante :
1. En premier, l'espèce de psalmodie qui servait autrefois à
réciter les "tragédies" ou pièces de théâtre religieuses, et qui était aussi
utilisée par le "bazvalan" et le "breutaer", quand on demandait une jeune fille
à marier.
- 23 -
2. Ensuite, les airs d'élégies, chants plaintifs qui étaient un peu plus
musicaux, quoiqu'encore monotones. Par exemple, la complainte de Kêr-Iz :
"Petra 'zo nevez e Kêr-Iz, 3. Enfin, les airs dans lesquels on trouve une vraie ligne mélodique. Ce sont
ceux-là qu'il vaut la peine d'étudier et d'apprendre.
On peut aussi classer les airs selon l'endroit où ils ont été
composés. M. Duhamel a étudié précisément la forme des airs dans les quatre
régions de Basse-Bretagne. C'est dans le Trégor qu'on trouve les chansons
bretonnes les plus nombreuses ; ensuite vient la Cornouaille (surtout la
haute-Cornouaille : Mael-Carhaix, Rostrenen, Gouarec, Saint-Nicolas-du-Pelem) et
le Vannetais ; en dernier vient le Léon (le premier pour la pureté et la beauté
de la langue, le dernier pour les chants.)
3. LES MODES DE LA MUSIQUE BRETONNE
Jusqu'à la fin du XIXè siècle, la musique savante ne se servait
pour ainsi dire que des modes majeur et mineur.
Le mode majeur comporte cinq tons et deux demi-tons, disposés
ainsi :
do-1-re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la-1-si-1/2-do
J'ai pris la gamme de do majeur.
Elle peut être transposée dans d'autres tons : sol
majeur,
- 24 -
ré majeur, etc, avec des dièses et des bémols. Mais les tons et les
demi-tons restent aux mêmes places que dans la gamme de do majeur.
Par exemple :
re-1-Mi-1-fa-1/2-sol-I-la-1-si-1-dod-1/2-re
(fad signifie "fa dièse", dod "do dièse").
Le mode mineur comprend trois tons, trois demi-tons et un ton et demi.
Par exemple, la gamme de la mineur
la-1-si-1/2-do-1-re-1-mi-1/2-fa-1,1/2-sold-1/2-la
Quand la tonalité est transposée, les tons et demi-tons restent au même
endroit.
Par exemple, gamme de ré mineur :
re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la61/2-sib-1,1/2-dod-1/2-re
(sib signifie "si bémol").
Quand la tonalité est changée, l'air est chanté plus haut ou
plus bas, sur une autre gamme ; mais le mode n'est pas modifié, parce que la
place occupée par les tons et les demi-tons ne change pas.
Mais quand la place des tons et des demi-tons
- 25 -
est modifiée, le mode est modifié. Nous avons vu qu'on ne met
pas au même endroit les tons et les demi-tons dans le mode majeur et le mode
mineur. Nous verrons qu'il existe plusieurs autres modes.
Ducoudray a trouvé six ou sept autres modes dans les airs
bretons
1. Le mode "hypodorien" (gamme de la mineur sans
sol dièse) :
la-1-si-1/2-do-1-re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la
2. sol-1-la-1-si-1/2-do-1-re-1-mi-1/2-fa-1-sol
3. Le mode "hypolydien" (gamme de fa majeur sans
si bémol) :
fa-1-sol-1-la-1-Si-1/2-do-1-re-1-mi-1/2-fa Quand l'air se termine par la médiante (troisième degré de la
gamme), il est appelé "syntono-lydien"
4. Le mode "dorien" (gamme de mi sans dièse ni bémol)
mi-1/2-fa-1-sol-1-la-1-si-1/2-do-1-re-1-mi
Ce mode est identique au mode hypodorien de la, mais il
se termine sur la dominante mi et non sur la tonique la. Dans
quelques airs, le mi dorien est tonique, et alors, c'est si qui
est la dominante.
5. Le mode "phrygien" :
re-1-mi-1/2-fa-I-sol-1-la-1-Si-1/2-do-1-re
Ce mode est identique au mode
- 26 -
hypophrygien (sol), mais il se termine sur la dominante re, et
non sur la tonique sol.
6. Premier mode du plain-chant grégorien :
re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la-1-si-1/2-do-1-re Cette gamme est identique à la gamme du mode phrygien, mais ici re est
la tonique et la est la dominante. M. Duhamel l'appelle le mode
"hypolocrien".
Nous avons vu sept modes (en comptant le syntono-lydien). M. Duhamel a trouvé
trois autres modes dans la musique bretonne :
1. Le mode lydien :
do-re-mi-fa-sol-la-si-do
avec do dominante et fa tonique.
(Dans le mode majeur, au contraire, do est tonique, et sol
dominante),
2. si-do-re-mi-fa-sol-la-si
3- Le mode locrien :
si-do-re-mi-fa-sol-la
La est la dominante, re la tonique.
Il ne faut pas confondre ce mode avec le mode hypophrygien, dans lequel
la est la tonique et mi la dominante.
Nous avons maintenant douze modes (majeur, mineur, hypodorien, hypophrygien,
hypolydien et syntono-lydien, dorien, phrygien, premier mode du plain-chant
- 27 -
grégorien ou hypolocrien, lydien, myxolydien, locrien)
M. Duhamel ajoute trois autres modes :
1. Le mode majeur qui se termine par la dominante.
2. Le mode majeur qui se termine par la médiante.
3. Le mode mineur qui se termine par la dominante.
Cependant, même dans la musique classique, de nombreux airs majeurs se
terminent par la dominante ou par la médiante, et des airs mineurs se terminent
par la dominante, et il restent seulement des airs majeurs ou mineurs.
Il faut faire aussi attention au fait que le si peut être bécarre ou
bémol dans les les modes grecs comme dans le plain-chant grégorien. On trouve la
même chose dans la musique bretonne. Par exemple, un air en mode du premier
plain-chant d'église peut avoir un si bémol ; alors ce n'est qu'un mode
hypodorien (la-1-si-1/2-do-1-re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la) transposé dans la
gamme de re (re-1-mi-1/2-fa-1-sol-1-la-1/2-sib-1-do-1-re). Mais quand le
si est bécarre, le mode devient différent de l'hypodorien :
re-1-Mi-1/2-fa-1-sol-1-la-1-sik-1/2-do-1-re (sik signifie si
bécarre).
4. LES RYTHMES La musique bretonne emploie des rythmes qui n'étaient plus employés par la
musique savante : mesure à
- 28 -
cinq temps, mesure à sept temps. En outre, les mesures ne sont
pas toujours regroupées par quatre pour obtenir une phrase musicale, comme
autrefois dans la musique savante. Souvent on trouve des phrases de trois, cinq,
six, sept mesures.
Parfois, deux phrases comportent le même nombre de mesures, qui
font entre elles une petite phrase en elle-même, comme certains vers dans les
pièces grecques.
Comme en Grèce également, la mesure des airs s'adapte à la
mesure des paroles. Et il n'est peut-être pas sans intérêt de mentionner que les
vers bretons sont différents des vers français à plusieurs égards. Les vers de
treize ou quinze pieds ne sont pas rares dans la poésie bretonne. Ils seront
divisés ainsi
7 + 6, ou 6 + 7 ; 8 + 7, ou 7 + 8
Dans un autre numéro de "Gwalarn" j'ai étudié la question de
l'accent tonique et des temps forts (numéro 95-96, p. 110).
5. LISTE DES AIRS BRETONS LES PLUS CONNUS
Nous les classons d'après le mode :
Les airs en mode majeur sont très nombreux. On peut citer
"Stourm an Tregont" (Barzaz Breiz, p. XIV), "Seziz Gwengamp" (p.
XX), le même air que celui de "Rhyfelgyrch Gwyr Glamorgan", qui était
chanté pendant le combat de Saint-Cast par les Bretons et les Gallois (1758)
(9), "Ar Chouanted" (p. XXX), "Lez-Breiz" (p. VII), qui est devenu
l'air de la chanson religieuse de Saint Erwan, "Hollaika" (p. XXXVII),
devenu l'un des airs
(9) Devenu l'air de "Sav Breiz-Izel" - 29 -
de l'hymne de Thielemans, "An Diou Vreiz", "An
Erminig" (p. XV), léger et qui se moque du loup et du taureau (c'est-à-dire
des Français et des Anglais, vieux ennemis de la nation bretonne), "Milinerez
Pontaro" (p. XXXVIII), air plaintif et plein de mélancolie, "Azenorig
C'hlas" (p. XIX), en la majeur, qui se termine par la dominante
mi, "Distro Marzin" (p. VII), en la majeur, et qui se
termine aussi par la dominante mi.
Parmi les airs recueillis par Bourgault-Ducoudray, on peut
mentionner "War Bont an Naoned", "Soubenn al Laez", "Disul
Vintin", et surtout "An Anjeluz".
Rares sont les airs en mode mineur d'aujourd'hui dans les
chansons bretonnes. Plusieurs airs mineurs du Barzaz Breiz ne sont que des airs
hypodoriens dont le septième degré a été élevé par les copistes qui ne
connaissaient pas bien les modes grecs. Quoi qu'il en soit, on trouve beaucoup
d'airs écrits en mode mineur d'aujourd'hui dans le Barzaz. Par exemple,
"Diougan Gwenc'hlan" (p. 11), ou, dans le recueil de
Bourgault-Ducoudray "Silvestrig", "O pebez kelou". "Ar
Baradoz" est en mode mineur dans le Barzaz Breiz (p. XLIV) et en mode
hypodorien dans le recueil de Ducoudray. Etant donné qu'on ne trouve pas le
septième degré dans certains airs comme "Gwin ar C'hallaoued" ou
"Koroll ar C'hleze" (p. IV), "An Tri Manac'h Ruz" (p. XIV), "An
Ifern" (p. XLIII), on ne peut pas savoir s'ils sont mineurs ou hypodoriens.
Parmi les airs qui sont certainement hypodoriens, on peut citer
"Droukkinnig Neumenoiou" (p. VIII), "Pennherez Keroulaz" (p.
XXIII), "Son an Daol" (p. XXIII), "Jenovefa Rustefan" (p. XXI),
"Ar
- 30 -
C'hakouz" (p. XXXVII), "Kanaouenn an Anaon" (p. XLIII), empli
d'une angoisse terrifiante, et qu'on chantait pendant la nuit de la Fête des
Trépassés par les routes balayées de vents froids, "Melezouriou Arc'hant"
(p. XXXIX), si calme, d'une telle élévation d'esprit, si pur, si détaché des
choses de ce monde, et dont la ligne mélodique fait penser aux lignes d'un
temple grec.
N'oublions pas "Va douz Annaig", recueilli par Bourgault-Ducoudray.
Les airs en dorien sont rares (gamme de mi sans dièse ni bémol) :
"Pardon Sant-Fiakr" (p. XXVI) et "Lavaromp ar Chapeled"
dans le recueil de Bourgault-Ducoudray. Ce dernier est peut-être le plus
beau de tous les airs bretons.
Parmi les airs, assez nombreux, qui utilisent le premier mode du plain-chant,
citons "Marzin en e Gavell" (p. VI), "Kañv", "Kloareg Tremelo",
"Mona", "Ar Skraperez", recueillis par Ducoudray.
Ducoudray a également publié quelques airs en phrygien : "Ar Vaouez
Tapet-Mat", "Me oa deut betek amañ" ; hypophrygien : "An Hader",
"Pedenn an Arzoniz", "An Heol a Sav", syntono-lydien : "Kenavo
d'ar Yaouankiz".
Dans le Barzaz on trouve un air lydien, "Seizenn Eured" (p. XVIII),
transposé en re, et peut-être un air myxolydien, "Son al Leur
Nevez" (p. XXXV)
Dans le livre de M. Duhamel au sujet des quinze modes de la musique bretonne
se trouvent des exemples de tous les modes utilisés dans la musique bretonne.
"Kanaouenn Mesaerien Gerne", en mode locrien,
- 31 -
est une perle d'une grande valeur.
Je n'ai mentionné ici que les airs les plus anciens. Mais on peut trouver
beaucoup d'airs charmants dans des recueils plus récents.
6. UN MOT AU SUJET DES CHANSONS DE HAUTE-BRETAGNE
Quand on parle de chansons bretonnes, on pense aux chansons de
Basse-Bretagne. Les chansons de Haute-Bretagne sont plus proches des chansons
des autres régions de l'Ouest de la FRANCE : Poitou, Anjou, Normandie.
Bourgault-Ducoudray les a qualifiées de "demi-sang". Il y a pourtant
quelques chansons de Haute-Bretagne qui sont belles et dans lesquelles ont
trouve comme un écho des chansons de Basse-Bretagne. Mentionnons
"Ancienne chanson des tisserands du pays de Loudéac" ,
"Chanson de la Mariée", "Les sabots d' Anne de Bretagne"
(recueillie en 1880 à Saint-Sulpice-la-Forêt, près de Rennes). On trouve ces
trois chansons dans le recueil de M. Kerlann. Mentionnons aussi "Bonsoir
Messieurs du Logis ", "Buans de Noa" (Brumes de Noël), chansons du
pays de Nantes. Plusieurs chansons de Haute-Bretagne ont été publiées par le
Commandant Le Grand dans "Annales de Bretagne" (Volume XVI, 1900-1901).
M. Choleau va publier un recueil de chansons de Haute-Bretagne.
Et il faut aussi parler ici des chansons de Botrel (10). Certes, elles ne
sont pas écrites en
(10) Botrel (1869-1926). Oeuvres: "Chansons de Bretagne",
"Clairons et Binious", "Chansons de la Fleur de Lys", "Chansons
en Sabots", "Chansons en Dentelles", "Chansons des Clochers a jour", etc.
- 32 -
breton, et les airs, parfois empruntés à des airs bretons anciens ou composés
par Botrel lui-même, ont été trop souvent composés ou arrangés par des
compositeurs parisiens qui ne saisissaient pas l'esprit breton. Mais plusieurs
chansons de Botrel sont très belles et inspirées par un amour authentique de
notre nation. N'oublions pas que Botrel était né en Haute-Bretagne. Il serait
injuste de ne pas rendre un hommage affectueux à son oeuvre.
- 33 - CHAPITRE III LA MUSIQUE DES DANSES BRETONNES 1. HISTOIRE La bombarde et le biniou ont été en usage dans d'autres
endroits qu'en Bretagne. La bombarde est une espèce de "hautbois" et l'histoire
de cet instrument est bien connue. Le biniou était connu depuis l'Antiquité. Les
Grecs l'appelaient "asc'haulos" ou "sumphoneia" ; les Romains,
"tibia utricularis". Le "tibia utricularis" était un sac de cuir
gonflé par l'air. L'air était soufflé par un tube, et ressortait par un autre
tube dans lequel étaient percés plusieurs trous. Le "tibia utricularis"
était utilisé par l'armée romaine. Neron, d'après Suétone, en aurait joué. Cet
instrument fut en usage pendant le Moyen-Age dans presque tous les pays
d'Europe. On l'appelait "cornemuse" ou "musette" en FRANCE,
"bag-pipe" en Angleterre, "piob-mor" en Ecosses,
"zampogna" en Calabre (Italie), "gaita" en Galice (région d'Espagne).
L'instrument est dessiné sur de vieux manuscrits comme le Livre de Psaumes de
Gorleston (1306), le Livre de Psaumes de Loutrell (1330). On en voit une image
dans la "Minstrel's Gallery" de la Cathédrale d'Exeter. Les rois
d'Angleterre avaient des "bag-pipers" parmi leurs serviteurs. Henri VIII
avait des "bag-pipes" avec des tuyau d'ivoire. Pendant le XIVè siècle on
ajouta au biniou un autre tuyau,
- 34 -
le bourdon, qui rendait un son grave et continu. Plus tard, le nombre de
bourdons a augmenté, et le biniou écossais avait trois bourdons.
Au XIVè siècle, on imagina de gonfler le sac avec un soufflet placé sous
l'aisselle. C'est de cette façon qu'on soufflait la "musette" française,
le "bag-pipe" d'Irlande, du Northumberland et des Lowlands d'Ecosse, la
"gaita" de Galice.
Le "Bag-pipe" des Highlands, le "biniou" breton et la
"zampogna" de Calabre conservèrent le soufflement par la bouche du
joueur.
Pendant le XVIIè siècle la "musette" était très connue en FRANCE
(11). Lully l'utilisait dans la musique de la cour de Louis XIV. Elle
était décrite dans le livre du Père Mersenne, "L'Harmonie Universelle",
par Borgeon ("Traité de la Musette", Lyon 1672, illustré) et par
L'Hoteterre ("Méthode pour la Musette", Paris 1737). Elle tomba en
désuétude en FRANCE dans la dernière partie du XVIIIè siècle.
Au contraire, c'est à cette époque que le biniou devint courant
en Bretagne. Il y existait naturellement auparavant, au XVIè siècle en Bretagne
(12), mais il n'était pas utilisé aussi souvent qu'au XVIIIè siècle.
A la fin du XVIIIè et au XIXè siècle, la bombarde et le biniou
devinrent courants dans toutes les fêtes bretonnes : mariages, pardons. Quelques
musiciens étaient très connus : Matilin an
(11) La "musette" avait quatre ou cinq bourdons et deux
chalumeaux
(12) M. F. Guilly, notaire à Pleyben, possède un ancien couloir
sculpté sur lequel on voit un joueur de biniou portant des vêtements en usage au
XVIè siècle.
- 35 -
Dall (Mathurin l'Aveugle), qui joua devant le roi
Louis-Philippe, à Paris (il mourut en 1857, brûlé dans sa maison) ; Bornugat, de
Vannes, mort en 1869. De nombreux concours étaient organisés, par exemple à
Vannes (1891), à Brest (1895). On appelait aussi les joueurs de biniou pour
certaines fêtes en Haute-Bretagne (les courses de Saint-Brieuc et les danses du
pardon de Moncontour). En 1889, Quellien recopia 27 airs pour bombarde et biniou
dans son livre "Chansons et Danses des Bretons". Plus tard, 148
airs de danse furent publiés par Alfred Bourgeois, qui révéla le biniou. Le
48ème régiment à pied (Guingamp) eut, de 1900 à 1905, six joueurs de bombarde et
six joueurs de biniou parmi ses musiciens (13). On fabriquait aussi des biniou
en caoutchouc pour les enfants.
Cependant, le biniou n'était pas en usage dans toute la
Basse-Bretagne. Il n'y avait de joueurs de biniou que dans le pays de Vannes et
en Cornouaille ; il n'y en avait pas dans le Léon ni en Trégor. En revanche, on
en trouvait dans une petite partie de la Haute-Bretagne (Mur, Loudéac).
Aujourd'hui, les sonneurs de biniou et de bombarde sont devenus
très rares. On les remplace par l'accordéon ou le "phono". Les Cercles
Celtiques se battent pour remettre en honneur nos vieux instruments. J'ai
entendu plus d'une fois Matthieu et Joseph Le Gall, de Gouarec, remarquables
joueurs de bombarde et de biniou qui jouent tous les dimanches ici ou là dans
les fêtes organisées par le Cercle de Saint-Nicolas-du-Pelem, "Kanerien ar
Pelem", dirigé par Mlle Rivoallan. A Paris, MM. Le
(13) Plusieurs des bombardes et binious utilisés autrefois par
les sonneurs du 48ème régiment se trouvent maintenant chez M. le Commandant de
Bellaing à Guingamp.
- 36 -
Menn et Dorig Le Voyer fabriquent des bombardes et des binious
(bretons et écossais).
La bombarde est un instrument en buis ou en ébène, avec six
trous que l'on peut fermer avec les doigts des deux mains (le 2ème, le 3ème, le
4ème). L'instrument possède une anche double. Quand tous les trous sont fermés
et que le sonneur souffle, on entend un son de base. Ce son n'est pas le même
pour toutes les bombardes. Alfred Bourgeois dit que c'est un sol (14) ;
Quellien dit que c'est un si ; j'ai entendu des bombardes en la ou
bémol. Quand les trous (tous ou une partie) sont ouverts on peut jouer la gamme
depuis le son de base jusqu'à l'octave supérieure. La plupart des bombardes ont
un septième trou pour donner la note sensible au-dessous du son de base. Quand
on souffle plus fort, on entend les notes une octave au-dessus des premières.
Rares sont, à vrai dire, les sonneurs qui peuvent souffler assez fort pour
atteindre ces notes supérieures.
Il est très difficile d'expliquer la pratique de la bombarde. Il y a une
façon de s'y prendre pour chaque bombarde. Les sons sont plus ou moins hauts
selon que les trous sont plus ou moins proches les uns des autres. On peut
abaisser une note en tirant un peu sur l'anche, avec les lèvres. Il faut le
faire pour empêcher les notes de fausser.
Les sons de la bombarde peuvent être liés ou détachés, comme on veut. Les
airs de bombarde publiés par Alfred Bourgeois sont écrits avec ré comme son de
(14) Deuxième ligne de la clé de sol. - 37 - base. Naturellement, l'air est transposé quand la note de base est un
sol, un la, ou une autre note. Comme plusieurs instruments à vent,
la bombarde est un instrument transposeur.
D'ailleurs, la plupart des joueurs de bombarde ne savent pas
lire la musique. Ils essaient en tâtonnant de jouer sur leurs instruments les
airs qu'ils ont entendus.
Les bombardes anciennes étaient souvent des oeuvres d'art.
Elles sont parfois incrustées d'étain, d'argent, d'ivoire ou d'os.
Le biniou est composé de quatre parties : un sac de cuir, qui
est gonflé en soufflant dans un petit tuyau (le sutell), l'air, qui sort par
deux tuyaux. Dans l'un d'entre eux sont percés six trous (il y a un autre trou
pour jouer la note sensible au-dessous du son de base) ; il est équipé d'une
anche double. Son jeu est assez semblable à celui de la bombarde. On l'appelle
le levriad. On peut jouer avec lui une octave au-dessus de la note de base (et
la note sensible au-dessous). La note de base du levriad est une octave
au-dessus de la note de base de la bombarde. Il doit être accordé à la bombarde,
en allongeant ou en raccourcissant le barillet qui le relie au sac.
Il faut noter qu'on ne peut pas produire de note détachée avec
le levriad. Les sons sont toujours liés du fait que l'air passe sans arrêt par
le levriad en quittant le sac. Le levriad n'est pas au contact direct des
lèvres, comme dans la bombarde. On ne peut donc pas faire de notes répétées. A
la place on fait des "ripipiou" (mot familier pour les notes d'ornement) en
ouvrant et fermant très rapidement l'un des trous.
Je n'ai encore rien dit du troisième tuyau,
- 38 -
le bourdon, un tuyau long, dans lequel se trouve une anche, et qui rend un
son grave continu et invariable (deux octaves au-dessous de la note de base).
Elle est à coulisse et on peut l'accorder avec la bombarde.
Quellien dit dans son livre (Kanaouennou ha Dansou ar Vrezoned) que la
bombarde et le biniou ne sont pas accordés justement. Cela peut arriver parce
que les joueurs de biniou ne sont pas des musiciens instruits, mais j'ai aussi
entendu des bombardes et biniou accordés de façon tout à fait correcte. Le
joueur de bombarde dirige le couple (les joueurs de bombarde et de biniou jouent
toujours ensemble).
Les biniou anciens étaient sculptés et incrustés de matières précieuses comme
les bombardes.
Un mot pour terminer sur l'étymologie du mot "biniou". Il peut être
dérivé du mot benveg (instrument), qui provient lui-même du mot latin
"beneficium". Il peut aussi bien venir du mot gallois "beny", qui
est le pluriel de "korn" (corne); une conférence très savante a été
donnée en novembre 1936 par M. Ernault à la "Société d'Emulation des
Côtes-du-Nord", à Saint-Brieuc, au sujet de l'étymologie du mot "biniou".
4. FORME DE LA MUSIQUE DES DANSES BRETONNES
Je ne dis rien ici des danses bretonnes, si belles et si
plaisantes. Ceux qui veulent apprendre à danser pourront lire le livre de Mme
Galbrun, "La Danse Bretonne", dans laquelle on trouve les paroles et les
airs des danses, et les images des pas. Je dirai seulement un mot au sujet de la
musique des danses bretonnes.
Elle diffèrent sous plusieurs aspects de la musique des Français :
- 39 -
1. D'abord, les chansons ne peuvent pas avoir des rythmes
libres. Il faut coller aux pas des danseurs et pour cela, le rythme doit être
très juste et carré. On n'utilise donc rien d'autre dans les danses que les
mesures 2/4 et 6/8. Et les airs comportent deux phrases musicales de huit temps
chacune.
2. Ensuite, la ligne mélodique ne peut pas être aussi variée
que dans les chansons. L'étendue de la bombarde et du biniou n'est que d'une
octave (avec en plus la note sensible au-dessous de la note de base). La plupart
des airs de danse sont en mode majeur, mineur ou dans le premier mode du
plain-chant grégorien. Parfois, la bombarde et le biniou utilisent un mode qui
leur est propre, et qui n'est pas utilisé pour les chansons
re-mi-fa-sol-la-si-dod-re
Parfois le do au-dessous de la note de base est dièse,
et le do au-dessus de la note de base est bécarre.
Bien qu'elle puisse utiliser la gamme chromatique, la bombarde
(ni le binou) ne l'utilise pas. Même chose pour les chansons (à une ou deux
irrégularités près)
3. J'ai dit que la bombarde est redoublée par le biniou d'une octave. Mais,
quand la bombarde s'élève au-dessus de la première octave, elle se trouve alors
à l'unisson du biniou. Comme ce n'est pas très agréable, le biniou fait un petit
accompagnement. C'est rare, à vrai dire.
Le vrai accompagnement est fait par le bourdon du biniou, qui rend un son
continu et invariable, ce qu'on appelle une "pédale" dans les méthodes
d'harmonie. C'est un accompagnement très incomplet et monotone,
- 40 -
naturellement. Parfois on utilise un petit tambour pour marquer les temps
forts.
4- Enfin, il faut noter que le son de la bombarde et du biniou ne sont pas
souvent justes. Ils sont parfois étrangers à la gamme tempérée (division de
l'octave en douze demi-tons égaux d'une façon telle que do dièse
correspond à ré bémol, sol dièse à la bémol, etc.). C'est
peut-être pour cela que la musique du binou possède une charme étrange (15).
(15) C'est aussi pour cela que le bourdon de chasse possède le même charme
étrange (le fa est entre fa naturel et fa dièse).
CHAPITRE IV
RELATIONS ENTRE LA MUSIQUE POPULAIRE
ET LA MUSIQUE SAVANTE La musique populaire est maintenant aidée par la musique
savante, qui lui donne des accompagnements. En échange, la musique savante prend
à la musique populaire une quantité de matière fraîche et charmante, et elle en
est renouvelée.
1. ACCOMPAGNEMENT DES MUSIQUES POPULAIRES
Est-ce une bonne chose d'accompagner les airs des chansons
populaires ? Elles n'étaient certes pas accompagnées quand elles étaient
chantées dans les fermes, ou à la campagne, pendant les veillées ou pendant le
temps des moissons. Mais, quand elles sont chantées dans une salle de concert,
ou dans un salon par un chanteur ou une chanteuse, leur voix serait trop faible
si elle n'était pas accompagnée par un instrument quelconque, piano ou harpe. Le
piano soutient la voix, enrichit l'harmonie par le truchement de l'harmonie et
du contrepoint (16). Ce serait refuser le progrès
(16) Attention à ne pas confondre le mot "kensonerez" (harmonie) avec
le mot "kendonerez" (contrepoint). L'harmonie met ensemble plusieurs sons
pour produire des accords qui se suivent. Le contrepoint met un air, une mélodie
sur une autre mélodie (ou deux, ou trois, ou plus) - 42 -
que de défendre l'accompagnement des chansons bretonnes aux musiciens
d'aujourd'hui. Un choeur à deux, trois ou quatre parties est aussi beau et
plaisant, pourvu que l'air de la chanson ressorte bien, qu'il ne soit pas
étouffé par les autres parties. Il est plus difficile d'accompagner une chanson
avec des voix qu'avec un instument de musique, parce que les voix ont un peu la
même couleur sonore. Au contraire, on ne peut pas confondre la couleur du piano
avec celle de la voix, et on distingue parfaitement l'air de la chanson chantée
par l'interprète.
Un autre problème est : comment faut-il accompagner les airs dans lesquels
sont utilisés les modes grecs ? Ce problème n'est pas nouveau. Il a été étudié
il y a longtemps pour l'accompagnement du plain-chant grégorien. Jusqu'à la
deuxième partie du XIXè siècle et parfois plus tard encore, ces airs étaient
accompagnés de la même façon que les airs majeurs ou mineurs, avec des accords
consonnants ou dissonnants, avec des modulations, en utilisant des dièses et des
bémols, avec toutes les méthodes de l'harmonie ou du contrepoint. Les airs dans
le premier mode du plain-chant étaient accompagnés de la même façon que les airs
en re mineur, c'est-à-dire en utilisant le do dièse. Même chose
pour le mode hypodorien, qui était accompagné comme la gamme de la
mineur, etc. En 1855 fut publié par Niedermayer un livre important, "Traité
théorique et Pratique d'accompagnent du plain chant" qui donna la règle de
base pour accompagner le plain-chant : il ne faut pas utiliser dans l'harmonie
des notes qu'on ne trouve pas dans la gamme de la mélodie (quand c'est un mode
grec). Niedermeyer donnait d'autres règles : il défendait d'utiliser les accords
dissonnants ; il mettait un accord sous chaque note de la mélodie, ce qui donne
un accompagnement trop lourd. On peut maintenant utiliser
- 43 - plusieurs accords dissonnants (surtout l'accord de septième
mineure ; il faut se passer de l'accord de septième de dominante, par contre,
parce qu'il donne une sensation de mode majeur ou mineur d'aujourd'hui (17). On
ne met plus un accord sous chaque note ; on utilise des notes de passage, des
broderies, des appogiatures, etc., toutes choses qui rendent l'accompagnement
plus léger. Cependant, la règle de base (ne pas utiliser de note en dehors de
celles du mode) est suivie, à quelques irrégularités près. Les airs majeurs et
mineurs, bien entendu, peuvent être accompagnés en utilisant toutes les
ressources de l'harmonie et du contrepoint, avec des accords consonnants ou
dissonnants, des modulations, etc.
Les premiers accompagnements des airs bretons n'étaient pas
très bons, parce que les compositeurs ne connaissaient pas les règles de
l'accompagnement des modes grecs. Ainsi, je n'aime pas beaucoup les
accompagnements des airs du Barzaz Breiz publiés en Allemagne par Silcher
(1789-1860) en 1841, ou en Angleterre par Mrs. Taylor en 1865, à la fin du livre
publié par son mari Tom Taylor (Ballads and Songs of Brittany, London, 1865).
Bourgault-Ducoudray, en revanche, a composé des accompagnements
admirables pour les airs qu'il a recueillis. Même chose pour MM. Ladmirault,
Duhamel (dont, à mon avis, l'accompagnement de "Dalc'h Soñj" est le plus
grand chef-d'oeuvre) et beaucoup de compositeurs contemporains (Mlle Brelet, MM.
Mayet, Brissat, Arnoux, Guillermit, Morellec, etc.). (17) Cet accord n'est pour ainsi dire pas dissonnant, cependant
la quarte augmentée s'y trouve, qui était appelée "diabolus in
musica" par les musiciens du Moyen-Age, parce qu'elle amène un sentiment de
désir, et qu'elle ne correspond pas à l'accompagnement de la musique grecque ni
au chant de l'Eglise. - 44 - 2. Beaucoup de compositeurs, pas tous nés en Bretagne, ont emprunté des sujets à
la musique populaire bretonne pour leur musique. D'autres qui ne prennent pas
les airs eux-mêmes ont utilisé les modes et les rythmes de cette musique. Ainsi,
la musique savante a été rafraîchie et rénovée, elle qui ne parvenait plus, à la
fin du XIXè et au début du XXè siècle, à créér quoi que ce soit de nouveau, et
qui cherchait trop souvent à se renouveler dans des accords très dissonnants, ou
par toutes sortes de sottises et de bizarreries de polytonalité et d'atonalité.
Heureux les compositeurs qui ont laissé de côté ces innovations néfastes et qui
ont préféré les innovations saines des mélodies, modes et rythmes nouveaux.
Aucune musique n'a autant apporté d'aide aux compositeurs contemporains que la
musique celtique, si ce n'est la musique russe et la musique grecque. Ces trois
musiques sont comme trois belles étoiles qui guident les compositeurs sur les
mers de l'avenir.
Il n'est donc pas surprenant que les compositeurs bretons
soient parmi les meilleurs des compositeurs contemporains. On ne peut pas donner
ici tous leurs noms. Je ne pourrai mentionner que les plus connus. N'oublions
pas, pour commencer, les disparus, organistes remarquables, Thielemans et
Charles Collin, qui furent peut-être les premiers à utiliser dans leurs oeuvres
la matière des airs bretons. J'ai parlé de Thielemans et de son hymne "An
Diou Vreiz"(Les Deux Bretagnes). Charles
Collin, né
- 45 - à Saint-Brieuc en 1827, mort à Saint-Brieuc en 1911, fut
organiste de la Cathédrale de Saint-Brieuc pendant 64 ans (1845-1909). Il avait
été le disciple de Lefebure-Wely, organiste célèbre, et de Cavaille-Coll, grand
facteur d'orgues. Il reçut le Grand Prix de Rome en 1857. Il a réalisé, parmi de
nombreuses oeuvres pour orgues, trois recueils de pièces pour orgues qui
reposent sur des airs bretons : "Cantiques bretons" (1876) "Chants de
la Bretagne", "Echos religieux de la Bretagne". On y trouve
plusieurs airs extraits du Barzaz Breiz : Ar Baradoz, An Ifern, An Erminig, An
Aotrou Nann, An Tri Manac'h Ruz, Ar Rannou, Ar Chouanted, Kan-Bale Arzur, etc.
Sont particulièrement charmants et angéliques les pièces numérotées
22,
On a dit plus haut un mot sur les oeuvres de Ducoudray, qui est
surtout connu pour ses recueils grecs et celtiques ; mais il a aussi composé
plusieurs autres oeuvres de grande valeur. J'ai mentionné ses principales
oeuvres.
Le plus ancien compositeur breton est M. Guy
Ropartz (19), né à Guingamp en 1864. Un autre maître remarquable est M.
Ladmirault, né en 1872, et qui est aussi un bon patriote (c'est
(19) Parmi de nombreuses oeuvres savantes on peut mentionner le
plus breton : "Au pied de l'autel", 60 pièces pour orgue,
plusieurs sur des airs bretons.
(20) "Suite bretonne", "Rhapsodie
gaélique", "Myrdhin", etc.
- 46 -
lui qui a rédigé le premier petit dictionnaire des mots de la musique
traduits en breton). Et qui ne connaît MM. Rhené Baton, né en 1879 à
Courseulles, en Normandie, mais dont l'oeuvre charmante "En Bretagne"
(21) est très bretonne, Moreau, Le Flemm, Mme de Faye-Jozin ? Et je ne peux
donner le nom que des plus connus.
Ils ont tous traduit en langage musical l'âme, l'art de vivre,
les moeurs de leur nation chérie, et ils ont porté très haut sa bannière.
(21) C'est une suite pour orchestre, qui comprend
"Pardon Landevenneg"
CHAPITRE V
LA MUSIQUE BRETONNE PAR RAPPORT 1. INSTRUMENTS DE MUSIQUE CELTIQUES : BINIOU ECOSSAIS, IRLANDAIS ; HARPE
GALLOISE. 1. Le biniou écossais ("bag-pipe" en anglais, "Piobmor" en
gaélique) sont plus grands que le nôtre. Le levriad ("chanter" en
anglais) a huit trous. Les notes du levriad sont : sol (2ème ligne, clé
de sol), la, si, do, re, mi, fa, sol, la. La est le son de base. Le
do et le fa sont plus hauts que le do naturel et le
fa naturel ; mais ils sont plus bas que do dièse et fa
dièse. Leurs hauteurs ont été mesurées par les physiciens. Ce sont des sons
différents de ceux de la gamme tempérée. Avec une technique plus difficile, on
peut produire toutes les notes, dièse ou bémol. Mais, dans la musique classique
du biniou écossais, on ne joue pas d'autre note que celles mentionnées
ci-dessus. La musique du biniou écossais utilise beaucoup de petites notes
(appogiatures et broderies) de toutes sortes, par degrés conjoints ou degrés
disjoints. Le biniou écossais a trois bourdons ; le plus grand produit un
la (deux octaves en-dessous du son de base du levriad) ; le plus petit
produit également un la (une octave en-dessous du son de base du
levriad). Ils sont parfois accordés à la quinte et à l'octave, au lieu d'être
seulement accordés à l'octave. On les appelle "drones" en anglais.
- 48 -
Il y a longtemps qu'on recueille des airs de biniou en Ecosse : "Avis for
Scotch Bag-Pipes", par Patrick Macdonald (1784), le recueil du Capitaine
Niel Macléod, dans lequel les notes n'étaient pas écrites sur la portée, mais
appelées par leurs noms gaéliques ( "hodroho", "hanahin", "hiechin",
"hiachin", etc.), le recueil de Ulleann Ross, "bag-piper" de la reine
Victoria, le recueil de Gley, Reizou de Donald Macdonald, Angus Mackay,
"Logan's Complete Tutor for the Highland Bag-Pipe" (Logan and Co.,
Ltd. Aberdeen) ; etc.
Le biniou écossais est utilisé dans les régiments écossais des Highlands.
2. Le biniou irlandais (Union Pipe) est différent du biniou écossais à
plusieurs égards. Le sac est gonflé par un soufflet placé sous l'aisselle. Il a
huit trous et aussi huit clés, pour pouvoir couvrir deux octaves chromatiques.
Il possède des bourdons, bien sûr, et aussi des "regulators", avec
lesquels on peut faire quelques accords. Les "regulators" sont manipulés
par le pouce.
3. La harpe est un autre instrument celtique. De nos jours, elle n'est plus
utilisée qu'au Pays de Galles. C'est de la harpe ancienne, avec ses trois
rangées de cordes, que je parle. Car aujourd'hui on pratique la harpe à pédales
au Pays de Galles comme ailleurs. La harpe ancienne (celle du barde aveugle
Griffith, qui se produisit à l'Assemblée Interceltique de Saint-Brieuc en 1867)
était plus petite que la harpe à pédales. Ses deux rangées de cordes extérieures
étaient pour les notes naturelles ; la rangée intérieure servait pour les dièses
et les bémols. A notre époque, certains musiciens ont cherché à faire revivre
cet instrument.
- 49 - 2. CHANSONS GALLOISES. - EISTEDDFODAU. - PENILLION
Les chansons galloises les plus connues en Bretagne sont, sans aucun doute,
celles recueillies et publiées en 1873 par le compositeur Brinley Richards
("Songs of Wales - Caneuon Cymru"). C'était un compositeur de talent et
un patriote. On joue toujours en FRANCE et en Angleterre son "Huñvre ar
Baleer-Bro" (Rêve du vagabond) et son "Ganaouenn an Abardaez"
(Chanson du soir). Dans le recueil de Brinley Richards, les paroles étaient
pour l'essentiel du poète Ceiriog Hughes.
Voici les chansons les plus connues en Bretagne :
"Toriad y Dydd" (Le lever du jour). Je ne sais pas pourquoi, le
texte anglais n'est pas la traduction du texte gallois, mais d'un autre poème :
"Taliesin's Prophecy" (La prophétie de Taliesin).
"Rhyfelgyrch Gwyr Glamorgan", sur le même air que "Seziz Gwengamp"
et "Sav Breiz-Ize1"
"Dafydd y Garreg Wen", qu'on trouve aussi dans les "Quatorze mélodies
celtiques" de Bourgault-Ducoudray.
"Rhyfelgyrch Gwyr Harlech" (air de "An Erminig" par Taldir),
"Llwyn Onn" (l'air de "An Tri Anjeluz" par Taldir), "Nos
Calan" (air de "Nozvez Kalanna", poème composé par M. d'Herbais), et
"Ar hyd y Nos" (Au long de la nuit), une sorte d'hymne à la nuit, qui est
très beau (c'est la matière première de l'hymne "An Diou Vreiz").
Des accompagnements simples et plaisants ont été composés par Brinley
Richards. Comme on le voit, plusieurs airs gallois ont été repris pour
accompagner des poésies bretonnes composées ultérieurement.
Plusieurs airs recueillis par Brinley
- 50 -
Richards sont très anciens ; cependant, ils ont été modifiés au XVIIIè
siècle, de plusieurs façons, par les harpistes de cette époque, selon le goût du
temps. Bien qu'ils soient très beaux, ils ne sortent pas autant de l'ordinaire
que les airs bretons ; car ils sont plus proches de la musique classique, celle
de Haendel, par exemple. Les modes grecs ne sont pour ainsi dire pas employés.
De tous temps, les Gallois ont eu une bonne connaissance de leur langue. Les
nobles et les habitants des villes n'ont jamais abandonné la langue de leur
nation, contrairement à la Bretagne. Même les gens les plus pauvres savent lire,
écrire et parler leur langue correctement, parce que le gallois est enseigné
dans toutes les écoles et à l'époque où elle n'était pas enseignée dans les
écoles, elle l'était à l'école du dimanche par les ministres méthodistes, qui
ont sauvé la langue. De plus, depuis plusieurs siècles, se tient chaque année un
"Eisteddfodau", concours de poésie et de musique, fréquenté par de
nombreuses personnes venues des quatre coins du pays. La langue galloise est
donc littéraire, et la musique galloise est savante (la polyphonie est connue au
pays de Galles depuis le XIIè siècle). Mais depuis trente ou quarante ans on
recueille des chansons galloises, venues jusqu'à nous de bouche à oreille sans
être écrites ; elles sont assez semblables aux chansons bretonnes ( à
voir : publications de la "Welsh Folk Song Society").
Quelques airs ont été publiés en Bretagne par M. Duhamel (Mélodies
kymriques) : "Ym Mhontypridd mae 'nghariad", "Lliw'r Heulwen", "Tra bo
dau", "Y Cariad Cyntaf", "Lliv Gwyn Rhosyn yr Haf".
Dans la musique galloise, le "penillion" est une chose étrange.
- 51 -
Le sonneur joue sur la harpe un air bien connu, et chante en même temps un
air qui fait contrepoint à l'air de la harpe. La partie la plus basse est celle
de la harpe, la plus haute celle de la voix. La plupart du temps, le
"penillion" est improvisé.
Pour conclure, il n'est pas sans intérêt de dire que l'air du "Bro Goz va
Zadou", notre hymne national, est celui de l'hymne national gallois, "Hen
Wlad fy Nhadau". Les paroles galloises ont été composées en 1856 par Evan
James, un poète de Pontypridd. James James, son fils, composa l'air. Les paroles
bretonnes ont été composées par M. Jaffrennou-Taldir à la fin du XIXè siècle.
3. CHANSONS ECOSSAISES. MUSIQUE DES ILES HEBRIDES. LA GAMME PENTATONIQUE On ne connaît les chansons écossaises en Bretagne, pour ainsi dire, qu'à
travers le recueil de Bourgault-Ducoudray (14 Mélodies Celtiques), dans
laquelle on trouve plusieurs chansons d'Ecosse, avec des paroles anglaises et
françaises. Il n'y a pas de paroles en gaélique dans ce recueil. Il faut dire
aussi que toutes les chansons écossaises ne sont pas des chansons gaéliques.
Beaucoup d'entre elles viennent des Lowlands, où on parle un dialecte anglais,
de même qu'on parle en Haute-Bretagne un patois français.
Quoi qu'il en soit, les airs recueillis par Ducoudray sont merveilleusement
beaux. Qui n'a pas entendu "Roy's Wife of Aldivalloch", complainte emplie
de nostalgie et de chagrin, ou "Auld Robin Gray", ou "Barbara
Allen", sublime élégie ?
- 52 -
Quelques autres airs sont bien connus : "Loch Lomond" (air de "En
tu all d'ar Mor Bras" de Taldir), "Auld Lang Syne" (publié par M.
Camille Le Mercier d'Erm dans "Les Hymnes Nationaux des Peuples celtiques").
Un élément remarquable dans la musique gaélique est la gamme pentatonique :
fa-sol-la-do-re. Elle peut être renversée ou transposée. Rares sont les
airs composés uniquement sur la gamme pentatonique, sur le continent tout du
moins, car dans les Iles Hébrides on trouve beaucoup d'airs pentatoniques.
Certains d'entre eux ont été publiés par Mme Kennedy-Fraser ("Songs of the
Hebrides - Sea Tangle"). Ils ont été étudiés par M. Duhamel dans un livre
savant édité en 1916 aux éditions Rouart et Lerolle, Paris.
Même en Ecosse continentale on trouve plus d'un air qui, sans être
entièrement pentatonique, comprend des phrases pentatoniques (à noter que l'air
"Auld Lang Syne" est entièrement pentatonique).
La gamme pentatonique a été utilisée par beaucoup de peuples pendant
l'Antiquité. On la trouve maintenant en Ecosse, en Irlande, en Chine, chez les
Indiens d'Amérique. La revue "Conferencia" a publié dans son numéro I-a
d'octobre 1936 une berceuse indienne composée uniquement avec les notes de la
gamme pentatonique.
Les modes grecs sont également utilisés parfois dans la musique écossaise.
4. CHANSONS IRLANDAISES. LES "IRISH MELODIES" DE THOMAS MOORE Trente ans avant le Barzaz Breiz fut publié - 53 - un livre qui donna une grande réputation à la musique irlandaise dans le
monde entier, les "Irish Melodies" (1804-1837). Le poète et patriote
Thomas Moore (1779-1852), qui est aussi l'auteur de nombreuses poésies
charmantes (par exemple "Lalla-Rookh", poème oriental, - 1817), avait
composé les poèmes de grande qualité, enflammés d'amour pour sa patrie, du
souvenir de sa gloire passée ( "long-faded glories"), d'espoir dans le
futur, d'émerveillement devant la beauté de la nature, enflammé aussi, il faut
le dire, par un penchant au plaisir un peu trop romantique. Les poèmes de Thomas
Moore étaient composés sur des airs irlandais anciens ; les airs avaient été
accompagnés par le compositeur Stephenson, un ami de Thomas Moore. On ne savait
pas à cette époque comment les airs celtiques devaient être accompagnés, et
c'est pourquoi, trop souvent, l'accompagnement ne correspond pas au mode de la
mélodie. Par exemple, l'air de "Shall the Harp then be silent" , air
d'un poème ancien, "Macfarlane's Lamentation", entièrement pentatonique,
est accompagné par une musique chromatique.
Beaucoup des airs des "Irish Melodies" sont connus universellement :
"The Last Rose of Summmer", "Let Erin Remember", devenu l'hymne national
irlandais, et qui a servi plus tard pour le "Dalc'h Soñj" breton,
"The Minstrel's Boy", devenu l'air de "Daou Soner Landevant", etc.
Il est possible que les airs anciens aient été légèrement modifiés par le
collaborateur de Thomas Moore, comme cela a été le cas pour les airs gallois.
Mais plusieurs autre recueils ont été publiés en Irlande. Je ne mentionne que
celui de Joyce , "Ancient Irish Music, Comprising One Hundred Airs hitherto
Unpublished". Les airs anciens ont été mieux conservés,
- 54 -
à mon avis, que dans le livre de Thomas Moore. Les accompagnements composés
par le Professeur Glover sont simples et correspondent bien à la mélodie (il
faut noter qu'il y a quelques phrases musicales sans harmonie ni contrepoint, la
mélodie a été redoublée à l'octave inférieure (22). En outre, dans le livre de
Joyce il y a plusieurs airs de danse, "Reel", "Horn-Pipe", avec une
mesure à deux temps ; "Double Jig", avec une mesure 6/8 et trois
croches à chaque temps ; "Single Jig", avec une mesure à 6/8 aussi, mais
avec une noire et une croche à chaque temps ; "Hop Jig" ou "Slip
Jig", avec une mesure à 9/8. Joyce indique pour chaque air où et par qui il
a été chanté. Plusieurs chansons ont été chantées par son père. D'autres par des
fermiers des comtés de Korkig (Cork) et de Limnac'h (Limerick), par des enfants.
Plusieurs airs ne sont pas accompagnés de paroles, parce qu'elles n'étaient pas
chantées, mais sifflées ou jouées par des "fiddlers" (violonistes) ou des
"bag-pipers" (joueurs de biniou). Beaucoup d'entre eux sont très anciens,
sans doute. L'un a été chanté devant Joyce, quand il était petit, par sa
grand'mère qui avait quatre-vingts ans, et elle l'avait entendu dans sa jeunesse
comme un air très ancien. Quelques airs avaient été publiés sur feuilles
volantes. Les airs du livre de Joyce sont donc d'authentiques airs populaires.
La musique irlandaise ressemble à la musique bretonne à plusieurs égards. Les
modes grecs sont souvent employés. Il y a pourtant de nombreuses traces de la
gamme pentatonique qu'on ne trouve pas en Bretagne. Il y a aussi beaucoup de
modulations, de changements de modes (beaucoup d'airs, majeurs au (22) Is-eizvedenn : "octave inférieure".
- 55 - début, deviennent hypophrygiens à la fin). Souvent la mélodie se termine par
une note en dehors de la tonique ou de la dominante. Elle se termine parfois par
le deuxième degré ou par le quatrième degré (voir : l'air de "Nora Creina"
dans le recueil de Ducoudray, "14 Mélodies Celtiques"). En ce qui
concerne le rythme, les mesures sont assemblées d'une façon plus correcte que
dans la musique bretonne : il y a le plus souvent quatre ou huit mesures dans
une phrase musicale ; mais le rythme dans chaque mesure est très varié. La
mélodie s'élève souvent, très vite, par des doubles croches. Il y a beaucoup de
syncopes et de contre-temps. On trouve quelques traces chromatiques. En bref, la
musique irlandaise est plus variée et plus enthousiaste que la musique bretonne.
- 56 - LES MOTS DE LA MUSIQUE La plupart de ces mots sont tirés du petit dictionnaire français-breton de la
musique, de F. Vallée et Ladmirault.
DIVERS FRANCE
 
DIVERS
 
DE CHANSONS BRETONNES
Ma'z eo ken foll ar yaouankiz,
Ma klevan-me ar biniou,
Ar vombard hag an telennou."
A LA MUSIQUE DES PAYS CELTIQUES
OUTRE-MANCHE
accompagnement
eiladur
accompagner
eila
accord
liesson
accorder
kendonia
air
ton
anche
lañchenn
anche double
dioulañchenn
anche simple
unlañchenn
appogiature
notenn vresk
appogiature
breskenn
appogiature
notenn vresk
atonalité
didoniez
augmenté
kresket
barillet (du biniou)
barilhig
bécarre
be-kornek
bémol
be-blod
biniou, cornemuse
biniou
bombarde
bombard
bourdon
kornboud
broderie
broudeür
cantate
kanadeg
cantate
meulgan
cantique
kanaouenn santel
chalumeau (de biniou)
levriad
chanson
kanaouenn
chant
kan
chanteur
kaner
choeur
laz-kana
c'hromatique
hollzerez
clef
alc'houez
comma
hedig
complainte
klemmgan
compositeur
sonaozour
concours
kenstrivadeg
conservatoire
skol-sonerez
consonant
kenson
contrepoint
kendonerez
contre-temps
eneppred
couplet, strophe
poz
croche
notenn grogek
degré
derez
degré conjoint
nesderez
degré disjoint
pellzerez
demi-ton
hanterdonenn
détaché
distag
dièse
diez
dominante
pennderez
dorien (mode)
doriek
double-croche
daougrogek ; notenn d.
double-croche
notenn daougrogek
élégie
maronad
enregistrer
enskriva
faux
direiz
fondamentale
diazez ; son-d.
forme, caractère
stumm
gamme
skeul-gan
grec (mode)
gresian
harmonie
kensonerez
harpe
telenn
harpiste
telenner
hymne
azeulgan
hypodorien (mode)
isdoriek
hypolocrien (mode)
islokriek
hypolydien (mode)
Isludiek
hypophrygien (mode)
isfrugiek
improvisation
primanao
instrument de musique
benveg-seni
intervalle
hed
joueur de biniou
biniaouer
liaison
liamm
liaison
stagell
locrien (mode)
lokriek
lydien (mode)
ludiek
majeur (mode)
brasa
médiante
kreizenn
mélodie
heson
mesure
ment
mineur (mode)
bihana
mode
doare-skeul
modulation
treuzskeuliadur
monotone
unton
morceau
pez
musical
sonerezel
musicien
soner
musique
sonerez
noire
notenn du
noire (note)
du
notation
notadur
note
notenn
note d'agrément
notenn ginkla
note d'agrément
notennig
note de passage
notenn dremen
note de passage
tremen ; notenn d.
note sensible
bresk ; derez bresk
notes répétées
adnotennou
octave
eizvedenn
octave inférieure
is-eizvedenn
octave supérieure
us-eizvedenn
opéra
c'hoarigan
orchestre
laz-seni
orchestre
laz-sonerez
organiste
ograouer
orgue
ograou
partie
kevrenn
pédale (de harpe)
troadikell
pédale (harmonique)
dalc'h-son
phonographe
sonskriverez
phrase
frazenn
phrygien (mode)
frugiek
plain-chant (grégorien)
kan-plaen (Sant Gregor)
polyphonie
kenvoueziez
polytonalité
liestoniez
portée
pemproudenn
psalmodie
salmorez
quarte
pevarvedenn
quinte
pempvedenn
radiophonie
skingomzerez
redoubler
azdoubla
refrain
diskan
renversé
dispennet
ressources
ijin
romance
tenergan
rouleau (de phonographe)
roll
rythme
mentadur
sensible
derez bresk
sifflet
sutell
son
son
son fondamental
son-diazez
sône (variété de chanson)
son
symphonie
kensonadeg
syncope
astennerez
syntonolydien (mode)
suntonoludiek
tempérament
keithederez
temps
pred
thème
danvez
timbre
liou-son
ton (intervalle)
tonenn
ton (tonalité)
toniez
tonique
derez tonek
tonique
tonek ; derez t.
transcrire
eilskriva
transposer
treuzlec'hia
transposition
treuzlec'hiadur
tuyau
korzenn
unisson
unvouez
variélé de chanson
gwerz
vers
gwerzenn
violon
violoñs
violoniste
violoñser
vocal
mouezel
Source : Son Ha Ton