Le jour se lève sur Siem Reap. Le moteur du tuk-tuk gronde et nous nous mettons en route. Les yeux encore embrumés et les esprits toujours absorbés par les rêves de la nuit précédente, nous abordons le lac qui annonce l’entrée dans la cité mythique d’Angkor. « Angkor », ce nom résonne à nos oreilles. Comme le titre d’un conte ou celui d’une légende, ces deux syllabes justifient à elles seules la découverte du Cambodge. « Apsaras ». Ce mot nous évoquait le nom d’un parfum voluptueux, d’une courtisane des mille et unes nuits, aux allures de princesse indienne. Nous n’étions pas si éloignés de la vérité, car les danseuses célestes, ces divinités appelées « Apsaras », prennent leur origine dans la culture hindouiste qui prédominait à l’époque où Angkor était capitale de l’empire Khmer.
Situé à 7 kilomètres de Siem Reap, le site d’Angkor actuellement s’étend sur 400 km carrés. Plus de 287 temples ont été dénombrés dans la région, dont la construction s’est échelonnée du 9ième au 15ième siècle. Ses ruines sont classées depuis 1992 au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. A son apogée, Angkor comptait 750 000 habitants pour une surface d’environ 1 000 km carrés. C’est un peu comme des explorateurs que nous nous lançons dans la découverte du célèbre Ta Phrom. Encore partiellement enseveli sous les lianes et laissé à l’assaut des racines des arbres gigantesques, ce site semble être là depuis la nuit des temps. On a presque peur de troubler la quiétude des lieux. Pourtant cet endroit, comme éteint, voire abandonné, abritait autrefois plus de 12 640 personnes, dont des moines, des fermiers, des danseuses et des ouvriers. Au détour d’une ruine, on entre dans un bâtiment appelé le « pavillon des danseuses ». Ça y est nous y sommes, les Apsaras se dévoilent. Des centaines de danseuses célestes sont sculptées autour des portes ou sur le bas des murs. Les apsaras désignent « celles qui glissent sur l’eau ». Elles naissent de la légende du « barattage de la mer de lait » : les dieux qui étaient alors mortels ont décidé d’unir leurs forces à celles des « Asura » (des êtres divins et puissants principalement connus pour faire le mal) afin d’extraire la liqueur d’immortalité, appelée « l’amrita ». Après de nombreux efforts, le barattage produisit des êtres merveilleux dont les Apsaras. Selon l’histoire, les Apsaras naissent des eaux pour séduire les hommes ; ceux qui les repoussent deviennent fous, tandis que ceux qui les acceptent comme maîtresse ou comme épouse accèdent à l’immortalité. Les Apsaras ont incarné différents symboles à travers le temps. Elles représentent l’excès et la tentation. Dans le temple d’Angkor Vat, on trouve plus de deux mille Apsaras. Les visages ont leur beauté propre et chaque mouvement dessiné est différent. Elles ont les seins nus et ronds. Les jambes aux formes voluptueuses se laissent deviner à travers le drapé des tissus fins. Elles sont coiffées de tiares et de hauts diadèmes. Des bijoux ornent leurs bras et leurs cous. Ces déesses dansantes d’Angkor sont les modèles des danseuses apsaras d’aujourd’hui des ballets royal du Cambodge. La danse classique khmère, directement inspirée du Ramayana hindou appelé « Reamker » (sorte de danse – théâtre), puise ses racines dans l’histoire du royaume. Les danseuses apsaras exécutent une chorégraphique très précise et rigoureuse. Elles centralisent leurs mouvements autour des mains et des pieds, tout en ayant le dos cambré. Durant les années 1970, l’art sacré des danseuses apsaras du Cambodge a bien failli disparaître sous le régime des Khmers Rouges. Les artistes et les fonctionnaires furent en effet les premières victimes de la dictature de Pol Pot. Pendant les quatre années du régime autoritaire, 90% des danseuses, des professeurs et des musiciens de l’ancienne cour royale furent exécutés ou décimés par la famine. Plus d’un millénaire de raffinement et de spiritualité fut ainsi éliminé. Aujourd’hui, l’art classique Khmer et ses danseuses apsaras sont en pleine renaissance grâce aux efforts gouvernementaux et aux nouveaux débouchés offerts par le tourisme. Deux cents danseuses sont employées par le gouvernement cambodgien. Celles qui vivaient jadis recluses et ne se produisaient que pour les Dieux et le Roi, sont aujourd’hui les reines de grands spectacles destinés aux voyageurs étrangers et aux khmers les plus fortunés. Mais, la démocratisation des spectacles n’enlève rien à leur magie qui perdure au fil du temps. C’est cette même magie que l’on ressent au cœur des temples d’Angkor. A l’heure où la nuit tombe, on croit encore entendre le froissement des robes des Apsaras sous leurs mouvements sensuels. Il est déjà temps pour nous de repartir. C’est les yeux remplis d’étoiles que nous regagnons la ville de Siem Reap. Source : Un pas de côté sur le monde. |
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