À peine un pied en Bolivie et je comprends tout de suite que la musique, la danse, la culture andine et tout le folklore de l’Alitplano ont une importance capitale ici. Des chapeaux melons des femmes sur les marchés, aux jupes à volants colorés, aux ponchos portés par les hommes… la tradition fait partie intégrante de la vie quotidienne.
Le jour de la « Fiesta floklorica del Senor Jesus del Gran Poder » s’expriment l’identité culturelle et la fierté des « pacenos » (les habitants de La Paz). Pourquoi célèbre-t-on ce fameux « Gran Poder » ? Selon la tradition populaire, l’histoire du Gran Poder a commencé avec l’arrivée d’une peinture dans la zone de Ch’ijni (un quartier de La Paz). Cette peinture était un triptyque que les Aymaras (population indigène de l’Altiplano) ont interprété de la façon suivante : l’image de droite représentait les ondes négatives, l’image de gauche recevait les ondes positives et l’image centrale était l’expression des sentiments personnels. En 1930, l’église catholique décida de repeindre les deux parties extrêmes du tableau, n’en laissant que le centre. L’image fut baptisée « Jesus del Gran Poder » et en son honneur commença à se mettre en place des festivités qui s’étendirent avec le temps à toute la ville de La Paz. En Bolivie, on comprend assez vite qu’il faut peu de choses pour donner prétexte à faire la fête, danser et défiler… la foi en dieu est donc une excellente raison ! Toute la richesse et la diversité des danses boliviennes est présentée pendant une journée, dans les rues de la Paz, sur un parcours (heureusement en descente) qui fait plusieurs kilomètres de long. Diablada, Morenada, Kullawada, Tobas, Waca Thokoris… sont des danses issues à la fois de la culture autochtone, de la religion catholique importée par les espagnols, de croyances populaires et d’expression sociale. Alors, entrons un peu dans la danse ! La Kullawada Cette danse met en valeur l’intense activité textile de tous les groupes ethniques « Aymaras » de l’altiplano bolivien, en particulier le tissage et le travail de la laine d’alpaga ou de lama. Les danseurs, aussi bien les hommes que les femmes portent une pièce de bois, représentant souvent une quenouille, comme symbole. La danse est menée par le « Whapuri », le chef, qui porte un masque avec un long nez et trois visages ainsi qu’une quenouille plus importante qui lui permet de diriger les mouvements et de donner le rythme. Cette danse est symbole d’élégance et de séduction. Les danseurs sont souvent jeunes et célibataires. Les Tobas Cette danse est d’origine guerrière. L’histoire rapporte que les armées Incaicas, sous le commandement de l’inca Yupanqui, ont échoué dans la conquête de la zone orientale, car les tribus ont résisté en dansant de façon acrobatique, munis de longues lances et en réalisant des sauts guerriers. Yupanqui fut tellement impressionné qu’il adopta cette chorégraphie pour le répertoire andin en tant que danse cérémoniale guerrière. Les Tobas défilent donc en portant de grandes plumes d’autruches, des masques et ponchos (sous lesquels ils étaient nus à l’origine). La danse des Tobas est aujourd’hui une représentation figurative des tribus du Chaco bolivien. La chorégraphie est une des plus physiques des danses boliviennes : sauts, retournements, mouvements de jambes sur les talons… On note aussi la présence de sorciers parmi les danseurs. La Morenada La Morenada est la danse la plus interprétée par les 61 fraternités qui défilent le jour du Gran Poder. C’est une danse qui vient des régions de Oruro et de Potosi et qui a une signification sociale, historique et politique intéressante. Elle exprime la souffrance des indigènes, utilisés comme esclaves par les espagnols dans les mines d’argent et de zinc. Cette danse met également en évidence l’importance de la création artisanale et textile dans le folklore andin. Les femmes portent la « pollera », cette jupe, courte ou longue, à volants qui représente (de façon satyrique) les maîtresses des propriétaires et contremaîtres de la mine. Les hommes, appelés « morenos » portent des masques symbolisant la souffrance des mineurs, ainsi que la sévérité des contremaîtres. Les hommes, tout comme les femmes, portent une « matraca », surmonté d’un objet symbolique. Cette « matraca » est une crécelle. Le son qu’elle produit donne le rythme à la danse, mais représente surtout la révolte des mineurs. Lors d’une pause, nous rencontrons Mauricio, danseur de Morenada, qui nous explique d’où vient cette danse et ces costumes. Quand la « Matraca » est actionnée par les danseurs, c’est pour faire entendre l’esprit et les cris des mineurs. Le costume de Mauricio vient de la région de Tarabucco, du lac Titicaca. Le masque et les vêtements des morenos (les hommes) sont directement inspirés des colons espagnols, qui ont torturé les indigènes, en les exploitant également dans les mines. Aujourd’hui, pour le Gran Poder, les morenos dansent avant tout pour la vierge, pour leur salut, plus que pour faire entendre l’esprit de la mine. Cependant, il est intéressant de voir combien l’histoire politique, sociale et coloniale influencent l’expression culturelle et folklorique des pacenos. (Plus d’infos sur la Morenada et la rencontre avec Mauricio ici.) La Diablada La Diablada est une danse issue des hauts plateaux andins. Les masques impressionnants, représentant des monstres ou des figures du diable (appelé aussi « El Tio » – l’oncle) symbolisent l’affrontement entre les forces infernales et celles des anges. Le but de cette chorégraphie était à l’origine de permettre l’évangélisation. Les danseurs sont organisés en deux camps : d’un côté, les démons, interprétés par les hommes, coiffés de masques représentant des visages monstrueux, pouvant faire penser à une mouche avec des cornes et vêtus de capes ornées de motifs multicolores. De l’autre, les anges, souvent interprétés par les femmes, habillées en blanc-argenté, portant des jupes courtes, des épées et des boucliers. Pendant la danse, les anges et les démons se tournent autour, puis en fonction de la musique, s’attaquent, à coups de pieds sautés pour les démons, à coup d’épée pour les anges. Les costumes sont faits de multiples détails minutieux. Celui du diable pèse par exemple plus de 30 kg. La difficulté que pose le poids des costumes est un gage de défi pour les danseurs, chacun essayant de faire une Diablada à chorégraphie plus complexe que les autres. En l’espace d’une journée nous en avons pris pleins les yeux et pleins les oreilles. Les pacenos, eux, se sont aussi bien désaltérés à la fameuse bière locale « la pacena » oblige ! Mais ce qui marque, au delà de l’aspect religieux et traditionnel du Gran Poder, c’est bien ce sentiment de fête, de fraternité, de fierté et de partage qui se dégage de la foule, aussi bien des danseurs que des spectateurs. Source : Un pas de côté sur le monde.
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