LA HORA, DANSE NATIONALE

Ronde autour des lautarii
Histoire de la hora
Codex Caioni
Compositeurs romantiques
Tournant du siècle (fin XIXème - début XXème)
20ème siècle
Horas françaises
Une Hora à l'Exposition Universelle de 1900
La Hora du général Berthelot

RONDE AUTOUR DES LAUTARII

Il y a un siècle, en Roumanie
. Aujourd'hui c'est dimanche de Pâques. Quatre heures sonnent. Les jeunes gens et les demoiselles des environs s'assemblent au centre du village. Ils sont tous habillés de magnifiques broderies. Un petit orchestre, composé d'une cornemuse, d'un violon et d'un cymbalum, fait entendre les premières mesures d'une hora. Certains garçons arrangent une dernière fois leur costume et aussitôt après une grande ronde se forme. Au centre se trouvent les lautarii.
Tous les danseurs se tiennent par la main, font un pas en arrière, l'autre devant, trois à gauche et cinq à droite - et recommencent.

La danse est noble, sans extravagances, le mouvement des danseurs est imprégné d'un grand naturel. Parmi eux l'on remarque la toute première apparition de jeunes filles à marier : pour elles, la participation à la hora, depuis longtemps attendue et réalisée en ce dimanche pascal, est un événement décisif. Les jeunes gens les observent et les plus hardis d'entre eux font des signes à celles qui leur plaisent.
Parfois un danseur improvise des paroles sur la musique :
Qui n'aime pas les horas Que le feu lui prenne aux champs, Que la maladie le dévore Que les hiboux l'aveuglent Que les animaux sauvages le mangent. Qui a inventé les danses Qu'il entre au Paradis fleuri.

Mais qui a inventé la hora ?

HISTOIRE DE LA HORA

Les musiques de tradition orale et les danses qu'elles illustrent, bien entendu, n'ont pas d'inventeur. Mais elles ont, parfois de longue date, leurs chroniqueurs.
La première mention de la hora est due à l'encyclopédiste
Dimitrie Cantemir dans sa Descriptio Moldaviae, en 1716. Ce n'est certainement pas un hasard si cet ouvrage est proche dans le temps de la toute première description des musiciens populaires, les lautarii : celle-ci date de 1688 et apparaît dans la Biblia de Bucarest, de Serban Cantacuzino. La hora est aussi observée et décrite par Franz-Josef Sulzer (Geschichte des transalpinischens Daciens, das ist des Walachen, Moldau und Bessarabiens, Vienne 1781-1792).
Au XIXème siècle, le printemps des peuples encourage l'étude des cultures nationales. Deux années après les mouvements révolutionaires, en 1850, Anton Pann note onze mélodies de horas dans son Spitalul amorului (ou Cântatorul dorului). D'autres recueils suivent jusqu'aux premières années du XXème siècle : ceux de Carl Mikuli, Teodor T. Burada, Dimitrie Vulpian (Leipzig, 1886), Hélène Sevastos, Antonio Sequens, Tiberiu Brediceanu, Pompilieu Pârvesco, etc.
Béla Bartók publie en 1918 ses Danses populaires roumaines et la musique populaire roumaine de Maramures. Mais il n'est pas le premier compositeur à se pencher sur les trésors mélodiques de la Roumanie.

CODEX CAIONI

L'ecclésiastique roumain de
Transylvanie Ion Caianu (1629-1687) collecte de nombreux airs de l'époque qu'il réunit dans plusieurs recueils. Le codex qui porte son nom comporte trois volumes et comprend aussi bien des musiques de compositeurs identifiés que d'autres restés anonymes. Il s'agit d'un témoignage de première importance sur la musique dans cette
partie de l'Europe. On trouve dans le Codex Caioni des musiques à danser, sans doute à l'origine des horas que décrira bientôt Dimitrie Cantemir. Cela est le cas pour cette Danse Valaque, dernière partie de la suite pour cordes et timbales que Doru Popovici compose en 1968 d'après des pièces du recueil de Caianu.

COMPOSITEURS ROMANTIQUES

Alexandru Flechtenmacher (1823 - 1898), grand promoteur de la vie musicale de son pays, écrit une composition patriotique restée célèbre, la Hora de l'union (Hora unirii). Hélas, le nom du compositeur a été éclipsé par celle de sa danse qui fit le tour de la nation. L'union dont il s'agit est celle des provinces roumaines de République Moldave et Valachie en 1859, sous la férule de Ion Cuza. Aujourd'hui encore cette musique est très populaire et fêtée le 24 janvier, jour anniversaire de l'union, sur des vers de Vasile Alecsandri :

Hai sa dam mâna cu mâna
Allons, donnons-nous la main
Cei cu inima româna,
Nous, à l'âme roumaine
Sa-nvârtim hora fratiei
Tournons dans cette ronde fraternelle
Pe pamântul României !
Sur la terre de la Roumanie !

Mais Flechtenmacher n'a pas complètement disparu grâce à une Ouverture Nationale Moldave (le titre original est en français) qui enflamme les foules en 1847 et dans lequel il utilise, peut-être pour la première fois dans la musique de son pays, de véritables danses populaires où la hora tient bien évidemment un rôle de premier plan. Trente années plus tard, George Stephanescu, élève du Conservatoire de Paris, compose lui aussi une Ouverture Nationale (Uvertura Nationala, 1876).
Ciprian Porumbescu, "éveilleur" patriotique disparu dans sa trentième année, a eu le temps d'honorer la hora dans de brèves pièces pour piano (Hora Brasovului, de Brasov ; Hora Detrunchiatilor) et surtout dans le recueil qu'il fait éditer à compte d'auteur à Vienne en 1880. Cette "collection de chansons sociales pour les étudiants roumains" (Colectiune de cantece sociale pentru studentii romani) mélange curieusement les airs populaires étudiants bien connus (comme le Gaudeamus Igitur) et les chansons patriotiques (Cântecul tricolorului, le chant des trois couleurs, deviendra l'hymne national de la Roumanie Socialiste). L'une d'entre elles (n. 5 dans le recueil) est simplement intitulée Hora.
Parmi les romantiques on ne peut omettre Eduard Caudella... bien que son langage soit resté très en retrait des bouleversements de la fin du romantisme, ce compositeur sympathique demeure l'un des plus grands animateurs de la musique de son pays. Ses oeuvres (Souvenir des Carpates, ouverture Moldova...) font appel aux rythmes et harmonies populaires roumains.

TOURNANT DU SIECLE (fin XIXème - début XXème)

On ne saurait ignorer la plus célèbre oeuvre roumaine du répertoire, la première rhapsodie d'
Enesco, citant textuellement plusieurs horas (voir lien cité). Enesco a déjà cité des danses populaires dans la dernière partie de son Poème Roumain opus 1. Bien des années plus tard, il consacrera à cette danse le très original second mouvement de son Caprice Roumain pour violon et orchestre, resté inachevé mais que de récents travaux ont permis de restaurer.
Grigoras Dinicu compose avec sa brève Hora Staccato une pièce qui sera dorénavant au répertoire de tous les virtuoses du violon. Fritz Kreisler en réalisera un arrangement célèbre pour violon et piano, et le Bulgare Pancho Vladigerov proposera sa propre orchestration pour ensemble symphonique.
La Hora Martisorului du même Dinicu s'adresse de nouveau aux virtuoses... en très grande forme s'ils veulent arriver au bout des cinq minutes et vingt-neuf secondes de cette pièce frénétique et non dénuée d'humour. Avec cette ronde du martisor, Dinicu illustre cette coutume roumaine du 1er mars (que l'on retrouve ailleurs dans les Balkans) qui voient les proches s'échanger des petits objets colorés et symboliques (gare au jeune garçon qui oublierait de faire parvenir un martisor à sa fiancée !). Le printemps roumain qui "éclate comme un coup de canon" (Paul Morand) mérite bien cette entrée en fanfare.

20ème SIECLE

Un compositeur comme
Theodor Rogalski a donné la preuve que l'école moderne de composition roumaine, inlassablement encouragée par George Enesco, survivrait à la disparition de ce dernier. Sa Hora din Muntenia pour orchestre symphonique, si habilement orchestrée, rend un hommage spirituel aux "pères fondateurs du genre", Dinicu et Enesco.
La vie de Tiberiu Brediceanu, déjà cité, embrasse une vaste partie de l'histoire de la musique récente : il naît alors que Brahms compose sa deuxième symphonie en ré majeur (1877) et disparaît l'année de Nomos Gamma de Xenakis (1968)... On comprend mieux l'audace toute relative de ses quatre danses symphoniques de 1951, joliment introduites par une hora pétrie de tendresse et de bonne humeur.
L'école de composition roumaine du XXème siècle est d'une richesse inépuisable. Des nombreux auteurs ayant parvenu à se forger un langage propre, héritier d'une tradition ancestrale et des techniques modernes, en France nous ne savons rien ou presque. Ce court article ne fait qu'effleurer le projet. Mais sait-on que certains mélomanes français avaient eu connaissance de horas roumaines dès le XIXème siècle ?

HORAS FRANCAISES

Ville d'
Angers, 1887. Alors que le public de la ville accourt au Festival Hongrois organisé par Alexandre (Sandor) de Bertha, espérant retrouver les émotions suscitées une année plus tôt par la création française du Capriccio Italien de Tchaikovsky, Jules Bordier (1846-1896) sacrifie au goût ambiant pour l'exotisme d'Europe Centrale en composant une hora romaneasca. L'intérêt pour les musiques d'ailleurs est confirmé à l'Exposition Universelle de 1889 où l'on remarque une troupe de danseurs roumains tout droit débarquée de Moldo-Valaquie.
J. A. Wiernberger, chroniqueur au Guide Musical, écrit cette même année 1889 une rhapsodie roumaine pour piano à quatre mains, éclipsée par les Gnossiennes qu'Erik Satie compose sous l'inspiration des musiques populaires roumaines entendues à l'Exposition. En 1894, Lucien Lambert compose sa Légende Roumaine. Se souvient-il de la Danse roumaine de Charles Gounod, récemment disparu ? Plusieurs décennies plus tard, Joseph Canteloube confiera lui aussi au piano quelques Danses Roumaines d'après des thèmes réunis par Michel Vulpesco.
Des danseurs et musiciens roumains reviennent à la grande Exposition Universelle de 1900. Mais cette fois-ci, l'événement s'accompagne de l'exhibition d'une partition de hora encore inédite.

UNE HORA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900

A la demande de Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra de Paris et grand collectionneur d'autographes, des compositeurs du monde entier lui font parvenir des partitions manuscrites. La collecte est un succès. Des partitions proviennent de tous les pays, du continent américain, d'Asie, du Moyen-Orient<:a>... et bien entendu d'Europe.
Caudella envoie sa première Feuille d'album de l'opus 28, Dimitrescu une danse villageoise pour violoncelle et piano, Enesco l'adagio de sa Suite dans le Style ancien, Stan Golestan un Lamento pour violoncelle et piano, Klenek un Impromptu pour piano, Wachmann un choeur pour voix d'hommes O Di de Erna (un Jour d'Hiver).
Stephanescu, lui, fait parvenir une oeuvre intitulée Visul, c'est-à-dire le Rêve. Il a noté le tempo : Andantino (tempo di hora) et précise en français, au bas de sa partition : Hora, danse nationale.

LA HORA DU GENERAL BERTHELOT

On le savait déjà avec la danse de Flechtenmacher, composée pour l'union de
Valaquie et de République Moldave. En 1918, la Transylvanie rejoint à son tour la République Roumaine. Pour le premier anniversaire de cet événement, l'archevêque Basile Saftu et des militaires français se retrouvent à Brasov devant le lycée Andrei Saguna.
L'archevêque tend la main droite au général Louis Berthelot ; ce dernier voit sa main libre empruntée par une jolie paysanne revêtue de broderies délicatement tressées. Une ronde se forme, composée de militaires français, de dignitaires orthodoxes et de paysans. Un violon, une cornemuse et un cymbalum entonnent la Hora unirii. Un pas en arrière, l'autre devant, trois à gauche et cinq à droite. La vie recommence.



Sources : Autour d'Antonín Dvorák

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