Mais
Flechtenmacher n'a pas complètement disparu grâce à une Ouverture Nationale Moldave (le titre original est en français) qui enflamme les foules en 1847 et dans lequel il utilise, peut-être pour la première fois dans la musique de son pays, de véritables danses populaires où la hora tient bien évidemment un rôle de premier plan. Trente années plus tard,
George Stephanescu, élève du
Conservatoire de Paris, compose lui aussi une Ouverture Nationale (Uvertura Nationala, 1876).
Ciprian Porumbescu, "éveilleur" patriotique disparu dans sa trentième année, a eu le temps d'honorer la hora dans de brèves pièces pour piano (Hora Brasovului, de
Brasov ; Hora Detrunchiatilor) et surtout dans le recueil qu'il fait éditer à compte d'auteur à
Vienne en 1880. Cette "collection de chansons sociales pour les étudiants roumains" (Colectiune de cantece sociale pentru studentii romani) mélange curieusement les airs populaires étudiants bien connus (comme le Gaudeamus Igitur) et les chansons patriotiques (Cântecul tricolorului, le chant des trois couleurs, deviendra l'hymne national de la Roumanie Socialiste). L'une d'entre elles (n. 5 dans le recueil) est simplement intitulée Hora.
Parmi les romantiques on ne peut omettre
Eduard Caudella... bien que son langage soit resté très en retrait des bouleversements de la fin du romantisme, ce compositeur sympathique demeure l'un des plus grands animateurs de la musique de son pays. Ses oeuvres (Souvenir des
Carpates, ouverture Moldova...) font appel aux rythmes et harmonies populaires roumains.
TOURNANT DU SIECLE (fin XIXème - début XXème)
On ne saurait ignorer la plus célèbre oeuvre roumaine du répertoire, la première rhapsodie d'Enesco, citant textuellement plusieurs horas (voir lien cité).
Enesco a déjà cité des danses populaires dans la dernière partie de son Poème Roumain opus 1. Bien des années plus tard, il consacrera à cette danse le très original second mouvement de son Caprice Roumain pour violon et orchestre, resté inachevé mais que de récents travaux ont permis de restaurer.
Grigoras Dinicu compose avec sa brève Hora Staccato une pièce qui sera dorénavant au répertoire de tous les virtuoses du
violon.
Fritz Kreisler en réalisera un arrangement célèbre pour
violon et
piano, et le Bulgare
Pancho Vladigerov proposera sa propre orchestration pour ensemble symphonique.
La Hora Martisorului du même
Dinicu s'adresse de nouveau aux virtuoses... en très grande forme s'ils veulent arriver au bout des cinq minutes et vingt-neuf secondes de cette pièce frénétique et non dénuée d'humour. Avec cette ronde du martisor,
Dinicu illustre cette coutume roumaine du 1er mars (que l'on retrouve ailleurs dans les Balkans) qui voient les proches s'échanger des petits objets colorés et symboliques (gare au jeune garçon qui oublierait de faire parvenir un martisor à sa fiancée !). Le printemps roumain qui "éclate comme un coup de canon" (
Paul Morand) mérite bien cette entrée en fanfare.
20ème SIECLE
Un compositeur comme Theodor Rogalski a donné la preuve que l'école moderne de composition roumaine, inlassablement encouragée par
George Enesco, survivrait à la disparition de ce dernier. Sa Hora din Muntenia pour orchestre symphonique, si habilement orchestrée, rend un hommage spirituel aux "pères fondateurs du genre",
Dinicu et
Enesco.
La vie de
Tiberiu Brediceanu, déjà cité, embrasse une vaste partie de l'histoire de la musique récente : il naît alors que
Brahms compose sa deuxième symphonie en ré majeur (1877) et disparaît l'année de Nomos Gamma de
Xenakis (1968)... On comprend mieux l'audace toute relative de ses quatre danses symphoniques de 1951, joliment introduites par une hora pétrie de tendresse et de bonne humeur.
L'école de composition roumaine du XXème siècle est d'une richesse inépuisable. Des nombreux auteurs ayant parvenu à se forger un langage propre, héritier d'une tradition ancestrale et des techniques modernes, en France nous ne savons rien ou presque. Ce court article ne fait qu'effleurer le projet.
Mais sait-on que certains mélomanes français avaient eu connaissance de horas roumaines dès le XIXème siècle ?
HORAS FRANCAISES
Ville d'Angers, 1887. Alors que le public de la ville accourt au Festival Hongrois organisé par Alexandre (Sandor) de Bertha, espérant retrouver les émotions suscitées une année plus tôt par la création française du Capriccio Italien de
Tchaikovsky, Jules Bordier (1846-1896) sacrifie au goût ambiant pour l'exotisme d'
Europe Centrale en composant une hora romaneasca. L'intérêt pour les musiques d'ailleurs est confirmé à l'
Exposition Universelle de 1889 où l'on remarque une troupe de danseurs roumains tout droit débarquée de Moldo-Valaquie.
J. A. Wiernberger, chroniqueur au Guide Musical, écrit cette même année 1889 une rhapsodie roumaine pour piano à quatre mains, éclipsée par les Gnossiennes qu'
Erik Satie compose sous l'inspiration des musiques populaires roumaines entendues à l'Exposition. En 1894,
Lucien Lambert compose sa Légende Roumaine. Se souvient-il de la Danse roumaine de
Charles Gounod, récemment disparu ? Plusieurs décennies plus tard,
Joseph Canteloube confiera lui aussi au piano quelques Danses Roumaines d'après des thèmes réunis par Michel Vulpesco.
Des danseurs et musiciens roumains reviennent à la grande
Exposition Universelle de 1900. Mais cette fois-ci, l'événement s'accompagne de l'exhibition d'une partition de hora encore inédite.
UNE HORA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900
A la demande de Charles Malherbe, archiviste de l'
Opéra de Paris et grand collectionneur d'autographes, des compositeurs du monde entier lui font parvenir des partitions manuscrites. La collecte est un succès. Des partitions proviennent de tous les pays, du continent américain, d'Asie, du
Moyen-Orient<:a>... et bien entendu d'Europe.
Caudella envoie sa première Feuille d'album de l'opus 28, Dimitrescu une danse villageoise pour violoncelle et piano, Enesco l'adagio de sa Suite dans le Style ancien,
Stan Golestan un Lamento pour
violoncelle et
piano, Klenek un Impromptu pour
piano, Wachmann un choeur pour voix d'hommes O Di de Erna (un Jour d'Hiver).
Stephanescu, lui, fait parvenir une oeuvre intitulée Visul, c'est-à-dire le Rêve. Il a noté le tempo : Andantino (tempo di hora) et précise en français, au bas de sa partition : Hora, danse nationale.
LA HORA DU GENERAL BERTHELOT
On le savait déjà avec la danse de Flechtenmacher, composée pour l'union de Valaquie et de République Moldave. En 1918, la Transylvanie rejoint à son tour la République Roumaine. Pour le premier anniversaire de cet événement, l'archevêque Basile Saftu et des militaires français se retrouvent à
Brasov devant le lycée
Andrei Saguna.
L'archevêque tend la main droite au général Louis Berthelot ; ce dernier voit sa main libre empruntée par une jolie paysanne revêtue de broderies délicatement tressées. Une ronde se forme, composée de militaires français, de dignitaires orthodoxes et de paysans. Un
violon, une
cornemuse et un
cymbalum entonnent la Hora unirii. Un pas en arrière, l'autre devant, trois à gauche et cinq à droite. La vie recommence.