       La bourrée à deux que l'on danse en Haute-Auvergne, quelle bonne occasion de séduire ! Tous les témoins sont d'accord pour en décrire le "pouchas amoureux" à ârtir de 1820 à peu près.

       Les 2 danseurs se cherchent et s'évitent, s'agacent et se boudent, s'appellent et se fuient. Toutefois, le rôle de chaque sexe est bien différent... L'homme, hardi, fier de sa force, danse, le bâton suspendu au bras, d'un air décidé, frappant des pieds et des mains et, par intervalle, jetant un cri; la dame, tout à la fois audacieuse et timide, le désire et l'évite, revient quand il s'en va, fuit quant il l'approche et déploie constamment, en tournant autour de lui, une ruse calculée et un tendre artifice²...

       Un homme hardi, décidé, viril en somme; une danseuse timide, coquette, rusée, mais tendre, féminine quoi... Toute une manifestation du caractère dont chaque sexe a été doté par la nature! Notons en tout cas que les paysans ont vite découvert le pouvoir de séduction de cette bourrée : La bourrée est la seule danse indigène dont les pas et la figure permettent à nos jolies paysannes d'étaler les grâces simples et naïves qu'elles ont reçues de la nature³.

Bourrée d'hommes

       Cette bourrée à 2 est encore largement pratiquée dans tout le Cantal, en Aubrac, dans la Châtaigneraie et le nord du Ségala. A quelques nuances orès cependant : d'abord, les déplacements ne se font plus "en avant et en arrière" mais plutôt sur le côté; et on tourne sur soi-même en même temps qu'autour de son partenaire pour la 2ème figure. C'est la version la plus connue, elle a une parenté certaine avec la "bourrée figurée" décrite par François de Murât. Mais surtout, cette bourrée a tendance à se pratiquer entre hommes la plupart du temps. Tiens, la prochaine fois que vous irez dans un bal ou une veillée , regardez bien : si 2 femmes se trouvent seules pour une bourrée, elles la tourneront en valse - et ça n'étonnera personne. Même chose s'il s'agit d'un couple - et ça se comprend...

       Le "pourchas amoureux" se fait encore mieux au corps à corps et, comme c'est permis maintenant... Mais s'il s'agit de 2 hommes, ils danseront une bourrée à 2 - vous ne voyez tout de même pas 2 hommes tourner une valse ensemble, non? - On vous le disait bien, toute une idéologie dans la danse. Alors ici, pas de drague, bien sûr, mais toute une mise en scène de combat de coqs : fantaisies du pas, provocations, acrobaties, voltige parfois. C'est à qui des 2 se montrera le plus fort, le plus résistant, le plus adroit. Dire que la bourrée à 2 a peut-être survécu à cause d'interdits!

       Ce genre de bourrée d'hommes est également une tradition ancienne, de l'Aubrac surtout. Ajalbert l'a décrite avec lyrisme : Ils tournaient au rythme de la bourrée chantée, la main passant et repassant devant les yeux, leur bâton suspendu au poignet, poussaient des cris gutturaux et faisaient claquer leurs doigts; du pied, en cadence, ils frappaient de grands coups... Toujours entr'eux, comme dédaigneux de la dame, sans un regard aux servantes qui apportaient du vin chaud! ²² Attitude parfaitement mysogyne que Monteil avait déjà remarquée presque 100 ans plus tôt : Dans cette belle contrée, nous sommes forcé de la dire, le sexe est traité avec barbarie... Est-ce aux moeurs du département, est-ce à la pauvreté des habitants, qu'on doit reprocher l'oppression sous laquelle le sexe gémit? Question difficile à résoudre³³. En tout cas, c'est entre 1880 et 1900 que les femmes sont progressivement admises dans les bourrées à 2 d'Aubrac. Cette bourrée d'hommes est-elle une tradition originaire de ces montagnes? Ou bien les buronniers ont-ils adopté une figure vue au cours de voyages dans le Cantal? On n'en sait rien, évidemment. Et comme il n'est pas question de reprendre la légende de la bourrée guerrière des Gaulois...

       En tout cas, soyons sûrs que, vers 1850, toute la Haute-Auvergne dansait déjà notre bourrée à 2, à peu de chose près, que ce soit dans sa version "guerrière" ou dans sa version "amoureuse". Et les choses continuent d'évoluer : Cette bourrée, bien dansée, est charmante. Les salons de la ville (Aurillac) s'en sont emparés depuis quelques temps mais les passes qu'on y a malheureusement ajoutées, bien que de bon goût, tendent à altérer sa véritable originalité²...

       Nous voilà partis pour les bourrées à 4, à 8 et à plus... On n'arrête pas le progrès!
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² - Henri Durif, Voyage pittoresque en Haute-Auvergne dans L'Ancienne Auvergne et le Velay, 1847. Durif était juge de paix à Aurillac
³ - F. de Murât, Lo Cobreto, numéro 15, édité par Michel Leymarie.
²² - J. Ajalbert, L'Auvergne, Paris, 1896.
³³ - A. Monteil, Description du département de l'Aveyron, Villefranche-de-Rouergue, 1802.
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Source : Extrait de "La Bourrée" par Catherine Liethout - Edition Ostal del Libre.