"VITRIVAL EN PHOTOS"



HISTOIRE DE VITRIVAL

         L'histoire de Vitrival, jusqu'en 1974, se mêle intimement à celle de Fosses puisque le village fit partie de la Principauté de Liège avant de devenir commune autonome.
         A l'époque de la Villa Fossensis, pendant les quelques siècles de la civilisation romaine, ce fut une vaste zone cultivée avec un grand bois alimentant la région en matériaux de construction et en combustible.
         On y extrayait la pierre et on y forgeait sans doute aussi le fer.
         Quand un roi franc tenta d'unifier ce qui ne fut jamais un empire, VITRIVAL n'était qu'un pauvre hameau envahi par la sylve, peuplé sans doute de quelques familles de Walhas, ce terme étant devenu "wallon", désignant tout étranger romanisé.
         Nous avons dit que la première mention de VITRIVAL date de 1217; elle a trait à une donation faite à l'hôpital Saint-Nicolas de Liège par un prêtre de Thuin.
         Les droits seigneuriaux du lieu étaient détenus par le Chapitre des Chanoines de Fosses.
         Mais c'est la forêt qui fut à la base de bien des conflits dans l'histoire de Vitrival.
         Dans le BOIS DES CHANOINES (officiellement Bois du Chapitre), des droits d'usage avaient été concédés, au cours du 13ème siècle, aux habitanst du lieu. C'était un droit de champiage pour le bétail et de glandée pour les porcs; le droit de champiage s'étendait jusque dans les "Grands Prés" entre VITRIVAL et FOSSES; cette propriété communautaire du haut moyen âge où la herde commune allait paître est encore évoquée de nos jours par deux lieux-dits : "Les Grands Prés" et "Les Champiats".
         A la fin de l'ancien régime, plusieurs cours foncières existèrent à Vitrival; elles étaient réunies sous le nom de "Cour de Vitrival des Tenants et du Sart-Saint-Lambert".
         Un endroit du village évoque encore aujourd'hui la justice féodale : "Al Coû" (au bout de la rue Saint-Pierre) tandis qu'un autre liue-dit "Al djustice" rappelle l'endroit où s'exécutait la sentence, l'exécution capitale ou celui de la potence.
         Nous avons dit que le Bois des Chanoines fut la source de bien des conflits. Déjà en 1218, l'Avoué de Vitrival, avant de partir en croisade, fait reconnaître ses droits par le Chapitre de Fosses. Un acte de mars 1218 figure dans le Cartulaire des petites communes aux Archives de l'Etat à Namur.
         Toujours au cours du 13è siècle, un différend intervint entre les habitants de Vitrival et le Seigneur du lieu (le Chapitre des Chanoines de Saint-Feuillen) au sijet des droits forestiers exercés dans le Bois des Chanoines et plus spécialement au sujet de la coupe de bois.
         Les arbitres de ce conflit étaient le Prince-Evêque de Liège et l'Avoué de Fosses, désignés par les parties en cause.
         L'arbitrage intervint le 30 avril 1287 et les droits furent maintenus.
         Précisons que le droit de champiage ne pouvait s'exercer que dans les tailles de plus de cinq ans et le droit de mort bois aux tailles de plus de sept ans.
         Le Chapitre se plaignait aussi que des porcs avaient été consuits deux fois à la glandée sans que la redevance de dix deniers n'ait été payée.
         Il faut rappeler qu'à l'époque, les hommes du peuple, en pleine émancipation, revendiquaient très souvent les droits que leur contestait le Seigneur.
         L'histoire du Bois des Chanoines est ainsi faite de nombreuses contestations entre le Chapitre et les Mazuys (ou Mazuis).



         Les MAZUYS, habitants des masuages, des masures, se distinguaient des manants par les droits qu'ils détenaient et les privilèges dont ils jouissaient.
         Les masuages étaient d'anciennes tenures ou censives héréditaires concédées par le Prince-Evêque moyennant certaines redevances.
        



Une rente pour "mazuyage" était exigée au profit du Seigneur. Elle pouvait être d'un setier (environ 3 décalitres) d'avoine par feu ou du double lorsque le mazui détenait un ou deux chevaux.
         En outre, le mazui devait au seigneur, tous les ans, un poulet qui "puisse voler sur la roue d'un char".
         En 1464, la Haute Cour fixe, par un acte, les droits des uns et des autres.
         Pour être admis à la glandée, les porcs devaient appartenir au Mazui dès le jour de la Chandeleur, ce qui faisait présumer qu'il avait pu les nourrir durant l'hiver. Les droits s'étendaient au bois de construction dont le mazui avait besoin pour "maisonner".
         En 1522, le Chapitre accorde aux mazuis, 200 bonniers de bois "mesurés au cordeau de la bonne ville de Fosses".
         Deux cent bonniers à prendre sur une superficie de 600. Cela pouvait être considéré comme une victoire de la plèbe.
         Le même document indique qu'au début du 16ème siècle, le nombre des Mazuis est de 26.
         Les différents entre les mazuis et le seigneur étaient portés devant l'Echevinage (Juridiction locale ou Haute Cour) pour les droits d'usage et devant la Cour foncière pour les droits réels de propriété.
         Parfois aussi, et au besoin, le litige était porté devant une instance supérieure.
         C'est aussi qu'une sentence du Grand Greffe des Echevins de Liège, rendue le 16 février 1536, montre les chanoines en procès avec les mazuis de Vitrival parce que "la herde commune" a été trouvée par le forestier dans les jeunes tailles du Bois des Chanoines".
         Les mazuis invoquent pour leur défense, l'usage courant pour la herde de traverser les jeunes taillis pour aller au "droit bois".
         Les chanoines furent déboutés de leur action et en appelèrent au Conseil du Prince-Evêque qui confirma le jugement attaqué et donné gain de cause aux mazuis le 1er octobre 1537.
         Un procès analogue amena de nouveau le Chapitre et les mazuis devant la Haute Cour en 1571. Celle-ci invoqua les juges de 1536 et 1537 et les mazuis obtinrent à nouveau gain de cause.
         En 1571, la domination espagnole abolit progressivement les droits du peuple et un recours de cette année annonce la rétrocession du Bois des Mazuis de Vitrival au Chapitre de Fosses.
         Les années vont se succéder, le peuple rechignant sans cesse quand il ne peut se déclarer en révolte ouverte et, en 1661, on retrouve à Vitrival 41 mazuis dont 9 femmes.
         Un nouveau conflit voit le jour en 1672 et la Haute Cour, après avis de la Cour des Echevins de Liège, admet le point de vue du Chapitre par jugement du 2 mai 1672.
         Les mazuis vont en appel de ce jugement auprès du Conseil Supérieur ordinaire du Prince-Evêque qui rejeta leur appel le 19 janvier 1673.
         Les mazuis, par requête du 17 septembre de la même année, portent le débat devant la Chambre Impériale de Watzlar, juridiction suprême pour l'empire tout entier; le procès y sommeilla jusqu'en 1715, année où le dossier fut réouvert pour ne trouver sa solution que grâce à une transaction intervenue le 21 avril 1750 contre le Chapitre et les mazuis, soit 78 ans après le début du conflit.
         Paul Errera, dans son ouvrage sur "Les Mazuis" paru en 1891, ne s'est pas demandé comment une quarantaine de mazuis, petits cultivateurs, fut amenée à cette longue procédure qui leur permit de garder, pendant plus de trois quarts de siècle, des droits qui leur étaient contestés. Mais André Spineux, dans ses recherches, a constaté que cette période coïncidait avec celle où des de Grady de Fosses, propriétaires de la cense de la Spinette à Vitrival, siégèrent à la Cour des Echevins de Liège.
         Ceci explique cela! Les protections et les privilèges, à cette époque, n'étaient pas plus de vains mots qu'aujourd'hui; de même d'ailleurs que les lenteurs de la justice qu'on critique très souvent de nos jours.
        



Enfin, en 1760, un document stipule les conditions d'accès à la qualité de Mazui : "Etre propriétaire d'une maison et d'au moins un bonnier et demi de terre située en entier à Vitrival, habiter la maison et y avoir son feu". (1)



         La révolution française, engendrant l'autonomie de Vitrival, réduisit à la portion congrue les droits du Prince-Evêque et des chanoines.
         Le Bois des Chanoines fut étatisé mais les Mazuis gardèrent leurs privilèges "estimés comme une servitude ayant force de loi".
         L'Etat, au cours des remous qui marquèrent la Révolution, l'Empire et la Constitution du Royaume des Pays-Bas, avait décidé de mettre en vente le Bois des Chanoines.
         Entre-temps, l'Administration française avait interdit tout usage forestier, mais la municipalité de Vitrival plaide en 1804, le maintien des droits ancestraux en faveur des "habitants de la commune" en se gardant bien de parler des "Mazuis", ce qui aurait compromis les chances de succès par le relent de "ci-devant" attaché au mazuyage, qui n'était somme toute qu'une forme de privilège accordé à quelques petits bourgeois, classe moyenne de l'époque, reléguant au rang de citoyens de seconde zone les manants de jadis et les prolétaires de l'époque.
         En 1812, un arrêté du Conseil de ma Préfecture en date du 10 septembre, maintint les droits d'usage forestier au profit des "habitants de la commune"; mais ces droits continuèrent à s'exercer au profit des Mazuis uniquement, comme sous l'ancien régime.
         Jusqu'à la chute de l'ancien régime et même pendant la période trouble qui lui succéda, la communauté ne possédait que quelques hectares de mauvais bois et d'essarts.
         Que décida-t-on de faire?
         Le Bois des Chanoines mis en vente et rapidement défriché par son acquéreur, le comte d'Oultremont, Vitrival décida d'acheter à l'Etat le Bois des Mazuis, ce qui mettait fin aux contestations intervenues précédemment.
         Mais la commune, devenue autonome et indépendante en 1797, n'était pas riche et il fallut qu'elle emprunta pour réaliser une acquisition qui lui tenait fort à coeur.
         Elle réunit les 35.000 florins exigés par l'Etat et les prêteurs, gens nantis de la région, allaient, jusqu'au remboursement intégral, faire office de receveurs des ventes successives des coupes de bois.
         L'achat portait sur les 180 ha. du Bois des Mazuis et l'acte fut signé par Pierre Galloy, bourgmestre de l'époque, Jean-Antoine Lottin et Joseph Duculot, assesseurs, Gaspard Parent, Joachim Collart, Joachim Damanet et Jean-Joseph Paradis, conseillers. C'était le 16 mars 1829.
         Le 26 avril 1830, à la veille de notre révolution nationale, eut lieu la première vente de bois sous la présidence du mayeur Pierre Galloy, pionnier de l'autonomie communale et qui exerçait la profession de brasseur.
         Petite anecdote : Pour fêter l'événement, nos mazuis firent bombance. Quelle liesse en ce mois d'avril; car il y avait déjà de l'indépendance dans l'air et la sève généreuse faisait s'épanouir les frondaisons du Bois des Mazuis. N'oublions pas qu'il fallait toujours être propriétaire des bien spécifiés en 1760 pour avoir accès au bois; aussi les mazuis s'en donnèrent-ils à coeur joie; mais peu de temps après, une lettre parvint au brave Pierre Galloy. Elle émanait des Etats de Namur (2) et reprochait à la commune d'avoir porté en note de la vente, une trop forte somme en dépenses aux libations de ce bienheureux jour du 26 avril 1830.
         Pierre Galloy était brasseur pour quelque chose!
         Il répondit de sa plus belle plume :
         "Comme la règle de notre pays est de donner un rafraîchissement sur le bois lors d'une vente, il nous serait désagréable de tenir les marchands pendant une journée sans les rafraîchir et nous croyons que le défaut pourrait refroidir les amateurs, tandis que l'on voit ordinairement la vente plus animée après les rafraîchissements qu'avant et que la dépense que l'on y a fait se trouve remboursée plus de dix fois.
         En conséquence, le conseil est d'allouer une seomme de 35 florins pour subvenir à cette dépense qu'il juge aussi utile qu'agréable dans l'intérêt des Mazuys".

         C'est fin, c'était adroit et c'était pratique à la fois.
         Nous ne savons pas si les Etats trouvèrent à redire à cette argumentation. Au reste, ils allaient avoir bientôt d'autres chats à fouetter.



         Dès 1830, le bourgmestre Galloy, principal artisan de l'acquisition du bois par la commune, avait envisagé une réforme du mazuyage. Il souhaitait l'étendre à tous les habitants et il écrivait : "par ce moïen, les plus pauvres jouiraient des mêmes avantages que les plus riches, attandu qu'ils doivent supporter les charges en commun, sans distinction de fortune".
         Ce fut donc la dernière délibération de celui qui, pendant 40 ans, à un tournant de l'histoire de notre village, demeura l'âme de l'administration communale; elle apparaît comme son testatment de premier citoyen de la commune.
         Pierre Galloy devait décéder la même année et l'on se soucia fort peu de réaliser son voeu.
         El le mazuyage allait se perpétuer sous sa forme féodale jusqu'en 1947.
         C'est alors que le conseil communal, sous la présidence du bourgmestre André Spineux et à l'initiative de ce dernier, décida de généraliser l'affouage à tous les foyers.
         Le dernier bourgmestre de VITRIVAL concrétisait ainsi le souhait qu'avait émis, plus d'un siècle auparavant, le premier bourgmestre de notre commune.
         Ceci est un trait significatif de l'histoire de notre commune.
         Depuis lors, chaque année, une "portion" de bois est attribuée gratuitement à chaque ménage; seuls les frais d'arpentage sont payés par les bénéficiaires (actuellement 200 frs).
         Une particularité du langage à Vitrival : une portion d'affouage s'appelle un "djint", forme wallonne du mot "gens" qui, en français, n'a pas de singulier.
         A Vitrival, on dit : "D' ja in bia djint".
         Le tirage au sort des portions numérotées se fait en novembre à la commune, sous le contrôle de l'agent forestier; les portions étant attribuées à ceux qui se sont préalablement inscrits au secrétariat et ont acquitté la redevance d'arpentage.
         Durant les années d'après la seconde guerre, le bois de chauffage était très apprécié et ce furent alors plus de 200 foyers qui en bénéficièrent. Pour 1995, 26 portions viennent d'être attribuées. Ceci s'explique par la modernisation des modes de chauffage (mazout, gaz, électricité); le travail que cela implique, le coût du débardage et du transport sont aussi des raisons de la désaffection des habitants à l'égard du mazuyage.
         Il y a quelques années, certains membres du conseil communal de la nouvelle entité de Fosses avaient émis l'idée d'abolir ce privilège des Vitrivalois qui, à leurs yeux, était une injustice vis à vis des autres habitants; mais les quatre conseillers vitrivalois défendirent bec et ongles, les droits séculaires de leurs concitoyens. (3)
         C'est le seul aspect de ces usages médiévaux encore en vigueur actuellement.


(1) Un bonnier et demi = 1 ha. 30 ca. depuis 1864.
(2) La Députation Permanente actuelle.

(3) Les quatre conseillers étaient René BRACHOTTE, Gabriel CLOCHERET, Yvon DAFFE et Benoît SPINEUX.


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